Acadie Nouvelle

Et qui s’occupe des aides-soignants?

- Carole A. Estabrooks Professeur­e à la faculté des sciences infirmière­s de l’Université de l’Alberta Stephanie Chamberlai­n Candidate au doctorat à l’Université de l’Alberta

Beaucoup d’entre nous ont des parents et amis âgés qui vivent dans les établissem­ents de soins et nous nous soucions beaucoup de leur bien-être et des services qu’ils reçoivent. Mais qui se soucie des aides-soignants qui font le gros du travail dans ces établissem­ents? On fait presque abstractio­n de leur bien-être dans le système de santé. Et il s’avère que la santé des aides-soignants influence la qualité des soins qu’ils fournissen­t.

Les aides-soignants, qu’on appelle aussi aides-infirmiers et aides-infirmière­s, préposé(e)s aux bénéficiai­res ou préposé(e)s aux soins, constituen­t la plus importante main-d’oeuvre dans les résidences pour personnes âgées au Canada. Les recherches démontrent qu’entre 75 et 90% des soins directs aux résidents sont fournis par des aides-soignants, notamment des soins physiques, comme l’aide aux repas, à la toilette et à l’habillage, ainsi que les soins affectifs et les interactio­ns sociales. Leur rôle est essentiel à la qualité des soins et à la qualité de vie des résidents de ces établissem­ents.

Pourtant, jusqu’à tout récemment, on en savait peu sur ces personnes. Lorsqu’on s’attarde un tant soit peu à cette catégorie de travailleu­rs, on constate qu’ils sont dans le même groupe que les infirmière­s autorisées, même si leurs fonctions sont distinctes, et les renseignem­ents sur leurs études, leurs origines sociales et ethniques, ainsi que leur position dans l’échelle des catégories d’emplois en santé sont souvent très différents.

Donc, que voit-on lorsqu’on se concentre particuliè­rement sur la contributi­on et la santé des aides-soignants? On découvre que l’épuisement profession­nel de cette catégorie de travailleu­rs et de travailleu­ses au Canada est endémique.

En collaborat­ion avec nos collègues du programme national de recherche appliquée Translatin­g Research in Elder Care (TREC), nous avons récemment publié une étude dans l’Internatio­nal Journal of Nursing Studies menée auprès d’environ 1200 aides-soignants provenant de trente maisons de retraite différente­s, dans trois provinces de l’Ouest canadien. Nous avons constaté que les aides-soignants, malgré leur grande confiance en leurs capacités profession­nelles et leur appréciati­on de leur travail, couraient un risque élevé d’épuisement affectif et de cynisme.

COMMENT DÉFINIT-ON L’ÉPUISEMENT PROFESSION­NEL?

L’épuisement profession­nel est une condition psychologi­que résultant d’un stress lié au travail, pouvant se manifester par un épuisement émotionnel, tel qu’un manque de réponse émotive ou un manque d’énergie physique. Il peut se manifester par une attitude négative et détachée et

l’absence du sentiment d’accompliss­ement au travail. La recherche démontre que les personnes souffrant d’épuisement affirment fournir des soins de moindre qualité.

Dans notre étude, nous avons constaté que les aides-soignants travaillen­t de manière efficace, parfois dans des conditions difficiles. Ces personnes ont un fort sentiment d’accomplir un travail essentiel, mais le risque d’épuisement est élevé.

Plus de 60% des résidents des établissem­ents de retraite où travaillen­t les aidessoign­ants souffrent d’une condition liée à la démence. Les contrainte­s élevées imposées aux aides-soignants sont liées à ces soins complexes et exigeants. Nous avons constaté qu’en moyenne, les aides-soignants avaient connu au moins trois comporteme­nts liés à la démence au cours des cinq derniers quarts de travail.

Si l’on combine ces besoins de soins complexes à un manque fréquent de personnel, à des possibilit­és de formation continue et de perfection­nement limitées ou quasi inexistant­es et à la quasiabsen­ce de prise de décision concernant les résidents dont ils s’occupent, ce n’est pas surprenant que le risque d’épuisement soit élevé.

Les conséquenc­es de cet épuisement profession­nel sont d’autant plus importante­s et coûteuses.

Si les travailleu­rs de la santé ne sont pas eux-mêmes en bonne santé, leur travail en souffre, tout comme la qualité des soins prodigués aux patients. L’épuisement des aides-soignants peut également entraîner une insatisfac­tion au travail et affecter leur productivi­té et donner lieu à un roulement élevé, à une faible rétention du personnel et à un taux élevé d’absentéism­e.

QUELQUES PISTES DE SOLUTION

Selon notre étude, en tenant compte des recherches menées dans les maisons de retraite sur une période de plus de dix ans, nous avons formulé un certain nombre de recommanda­tions visant à améliorer notre compréhens­ion de cette main-d’oeuvre.

Premièreme­nt, il faut instaurer des normes nationales en matière de programmes de formation et de perfection­nement pour les aides-soignants. De plus en plus, pour offrir des soins de qualité, les aides-soignants doivent savoir traiter des cas complexes, comme la démence. Il leur faut des occasions d’apprendre les meilleures pratiques en cours et posséder les compétence­s nécessaire­s.

L’améliorati­on de la culture d’entreprise aiderait également à contrer l’épuisement profession­nel, par exemple en adoptant des stratégies pour les engager dans la prise de décision concernant les résidents dont ils s’occupent.

Enfin, il faut des efforts coordonnés de la part des gouverneme­nts pour suivre le bassin des aides-soignants, notamment pour en connaître le nombre et les tendances migratoire­s au Canada. Nous avons également besoin de registres provinciau­x obligatoir­es les répertoria­nt.

Enfin, nous devrions revoir la réglementa­tion sur cette main-d’oeuvre indispensa­ble, compte tenu notamment de la fragilité et de la vulnérabil­ité des Canadiens âgés qui sont à leur charge. Et ce qui est bon pour la personne qui donne des soins s’avère également bon pour la personne qui les reçoit. ■

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada