Quand le silence crie…
Le chef conservateur Blaine Higgs, officiellement repenti de son passé antibilinguisme, mais encore enfirouapé dans cet aura trouble, n’est pas encore aux commandes de l’État que déjà il propose de tripoter le principe du bilinguisme dans la fonction publique. Ça commence!
Ce nouvel accommodement permettrait que des postes bilingues puissent être accordés à des unilingues (anglophones, on s’en doute).
L’infortuné fonctionnaire unilingue devrait s’engager à apprendre l’autre langue (le français, on n’en doute pas), quitte à se faire gronder, dans trois ans, s’il ne la baragouine pas suffisamment bien.
J’ignore qui conseille de telles entourloupettes bilinguistiques (ou bilinguales?) au chef conservateur, mais cette personne devrait, elle, se faire mettre en pénitence dans le coin, car tout ce que son chef a semblé avoir appris après deux ans de formation en français, c’est qu’il y avait quatre dialectes francophones au NiouBrunswick.
Ce qui, doit-on en conclure, multiplie par quatre les difficultés d’apprentissage de la langue des anciens réfugiés de 1755, toujours aussi dérangeants en 2018, avec leurs ambulances, leurs autobus scolaires, leurs examens d’infirmières et toutes sortes d’autres niaiseries linguistiques qui enquiquinent la communauté propriétaire de la province.
Ce premier grumeau dans la sauce bleue de cette élection nous ramène au drôle de débat sur le débat des chefs. Aux dernières nouvelles, les Grands Tuteurs Invisibles de l’Acadie ont décidé qu’il n’y en aura pas de débat français. Que les francophones prennent leur trou! Comme d’habitude. Mais à qui la faute?
1. Est-ce la faute de Radio-Canada?
Radio-Canada a voulu ménager la chèvre et le chou en accommodant un chef unilingue, apparemment crédité de 35% d’appuis dans les sondages, au détriment d’un autre «tiers»: celui des citoyens francophones de la province. Mauvais calcul.
Ce faisant, elle a donné la regrettable impression de vouloir enlever à Pierre pour donner à Peter. Pas très élégant, ça.
Pourtant, n’est-ce pas le diffuseur public qui dit lui-même avoir «le devoir de présenter une couverture équitable et équilibrée des partis en période électorale»?
Maintenant, ce qui rendrait la situation encore plus inéquitable, ce serait un débat en anglais à la CBC, sans débat français à Radio-Canada! Ce serait le bouquet d’herbe à poux!
2. Est-ce la faute du chef libéral?
Non. Le chef libéral Brian Gallant a parfaitement raison d’exiger qu’un débat «des chefs» se tienne en présence… des chefs!
C’est non seulement sa prérogative à titre de chef et en tant que francophone, mais c’est surtout son devoir en tant que premier responsable actuel de l’application des lois relatives aux droits et à l’égalité des deux communautés linguistiques officielles de la province.
Mieux: par respect envers lui-même et envers les francophones, il devrait refuser un débat en anglais s’il n’y en a pas un en français! Ça brasserait dans les chaumières! Les francophones ont le droit de savoir si, une fois pour toutes, leur premier ministre va oser se tenir debout en leur nom. C’est ça, le leadership!
En aura-t-il le courage politique? Les paris sont lancés.
3. Est-ce la faute du chef conservateur?
Un chef politique a le droit d’être unilingue anglais. Mais si son unilinguisme est un motif suffisant pour priver les francophones de leur droit à un débat en français, il doit en assumer la responsabilité.
L’unilinguisme d’un chef ne le dispense nullement d’avoir à respecter les droits de ceux qui parlent une autre langue que lui... Et ce, même s’ils parlent en dialectes!
Le chef conservateur devrait avoir la sagacité politique de multiplier les gestes «d’apaisement» envers les francophones de la province, surtout en pleine campagne électorale!
Pour se faire pardonner son passé, qu’il exige un débat avec interprétation simultanée dans le dialecte de son choix. La rédemption doit bien commencer quelque part!
LES CANDIDATS CONSERVATEURS FRANCOPHONES
Je me suis demandé pourquoi les candidats conservateurs francophones n’avaient pas publiquement appuyé l’idée d’un débat des chefs en français (avec interprétation simultanée, évidemment!).
Devant cette nouvelle proposition d’accommodement bilinguistique de leur chef, on comprend qu’ils aient eu envie d’être discrets.
Je me demandais aussi où était caché le fameux lieutenant francophone que M. Higgs avait promis après son élection à la chefferie.
En lisant les réactions de quelques-uns de ces candidats conservateurs à la nouvelle et pitoyable proposition de leur chef, on se demande si ce lieutenant ne serait pas un ami imaginaire.
Le candidat-ancien-ministre Jeannot Volpé a déclaré: «On devrait prendre le temps de s’adapter graduellement». Cinquante ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles! Presque quarante ans après celle de l’égalité!
M. Volpé n’est vraiment pas pressé et fait montre d’une patience carrément angélique. On a enfin trouvé le successeur du Dalaï-lama!
Le seul candidat conservateur francophone qui s’est mouillé, au comptegouttes, c’est Robert Gauvin, en affirmant que «les fonctionnaires doivent être bilingues. Pour moi, la langue est une compétence au Nouveau-Brunswick». Reste à savoir s’il parle pour aujourd’hui, ou après les trois ans de formation dialectique…
Est-ce que cela lui sera suffisant pour obtenir ses galons de lieutenant et le propulser au mess des officiers de son parti? Dommage que ma boule de cristal soit au nettoyeur. Zut.
Dans le contexte politique actuel de la province, alors que les héritiers de Louis J. Robichaud renient son testament linguistique et que, de leur côté, les héritiers de Richard Hatfield dilapident son legs égalitaire, faut-il en conclure que les potentiels futurs députés conservateurs francophones ont d’ores et déjà adopté la stratégie mollassonne des actuels députés libéraux en matière linguistique?
Il n’y a plus de Louis J. Robichaud en 2018. Il n’y a plus de Richard Hatfield, non plus. Faut-il conclure aussi qu’il n’y a même pas l’ombre d’un Jean-Maurice Simard ou d’un Jean Gauvin dans l’équipe des conservateurs pour, au moins, oser espérer que quelqu’un va brasser la cage de ce parti et le ramener sur le chemin de la promotion du fait français?
En attendant, à tous les aspirants députés, toutes couleurs confondues: votre silence crie plus fort que vous!
Pauvre Acadie.