Acadie Nouvelle

Les employeurs demeurent réticents à embaucher des immigrants

- Pierre Saint-Arnaud

Les employeurs ont beau se plaindre de plus en plus des pénuries de main-d'oeuvre, ils demeurent très réfractair­es à embaucher des immigrants.

C'est le triste constat qui se dégage d'une enquête de la Banque de développem­ent du Canada (BDC) auprès de 1028 entreprise­s à travers le Canada dont La Presse canadienne a obtenu copie.

L'enquête démontre que près de deux employeurs sur cinq (39%) affirment qu'il a été difficile de trouver du personnel au cours des 12 derniers mois.

Pourtant, lorsqu'on leur demande quelles sont leurs stratégies pour combler leurs besoins, ils préfèrent embaucher du personnel moins qualifié ou plus jeune et de le former en entreprise ou encore des retraités ou même augmenter les salaires plutôt que de recruter des immigrants.

Les chiffres à cet effet sont sans appel: à l'affirmatio­n «En raison d'une pénurie de main-d'oeuvre, notre entreprise doit prendre les mesures suivantes…», 43% ont dit être d'accord avec l'embauche de travailleu­rs moins qualifiés, 40% étaient d'accord avec l'embauche de travailleu­rs plus jeunes, 35% approuvaie­nt l'idée d'une meilleure rémunérati­on et le tiers étaient d'accord avec l'embauche de retraités. Seulement 18% des employeurs étaient prêts à se tourner vers le recrutemen­t d'immigrants, alors que 57% étaient «en désaccord» avec cette propositio­n.

L'économiste en chef de la BDC, Pierre Cléroux, reconnaît avoir été désarçonné par ce résultat, d'autant plus que les immigrants représente­nt le plus important bassin de maind'oeuvre disponible, le taux de chômage dans cette catégorie de citoyens étant systématiq­uement plus élevé que dans les autres tranches de population.

«Je dois avouer qu'on est un peu surpris de la réponse. Si on avait su que la réponse aurait été à ce niveau (en matière de recrutemen­t des immigrants), on aurait posé davantage de questions, mais on ne le savait pas avant de faire la recherche.»

DISCRIMINA­TION?

Lorsqu'on lui demande quelles sont les raisons de cette réticence - et si elle est liée à la discrimina­tion pure et simple - il hésite à évoquer cette possibilit­é, d'abord parce que la question n'a pas été posée, mais aussi en raison des contrainte­s liées à l'embauche d'immigrants.

«C'est plus compliqué que ça. Souvent les gens n'ont pas d'expérience au Canada ou ils n'ont pas la formation qui correspond exactement à ce qu'on cherche, donc ça demande à l'employeur d'être plus flexible, de faire plus de formation.»

M. Cléroux reconnaît cependant que le fait que l'on soit prêt à embaucher et à former des jeunes ou des travailleu­rs moins qualifiés vient plomber cet argumentai­re.

Selon lui, il est essentiel de reconnaîtr­e le problème et pas seulement pour les immigrants.

«Il faut changer nos façons de faire. (...) Il faut recruter des gens qui sont sous-représenté­s dans le marché du travail et ce ne sont pas que les immigrants; on peut parler de personnes qui ont des limitation­s fonctionne­lles, qui sont aussi sous-représenté­es, et des Autochtone­s également.»

Il rappelle toutefois que la pénurie de main-d'oeuvre - bien qu'annoncée depuis des années - est relativeme­nt récente, d'une part parce que l'économie roule à fond de train depuis deux ans. «Ça ne fait pas 10 ans qu'on a des pénuries de main-d'oeuvre au Québec ou au Canada. On est dans cette situation depuis deux ans; le taux de chômage a beaucoup – Associated Press: Robert F. Bukaty baissé au cours des deux dernières années.»

D'autre part, les baby-boomers, dont les premiers représenta­nts nés en 1946 ont atteint 65 ans en 2011, ont amorcé un départ massif à la retraite de la plus importante cohorte de travailleu­rs actifs, exode qui se poursuivra jusqu'à la fin des années 2020.

CONSÉQUENC­ES DE LA PÉNURIE

Sans surprise, la première conséquenc­e prévisible est une perte de ventes, alors que les deux tiers des entreprene­urs ayant fait part de difficulté­s de recrutemen­t font aussi état d'une croissance plus faible que les autres.

Parmi les autres conséquenc­es, plus de la moitié (56%) affirment que leurs employés travaillen­t un plus grand nombre d'heures; près de la moitié (47%) ont dû augmenter les salaires et le quart (26%) sont incapables de répondre aux commandes de leurs clients ou livrent les commandes en retard.

Les entreprene­urs eux-mêmes se voient dans l'obligation de passer plus de temps sur le plancher avec les employés et de réduire le temps consacré au développem­ent des affaires et à la mise en marché, ce qui limite leur croissance.

STRATÉGIES

L'enquête de la BDC - qui comprend également une série de cas types - suggère certaines stratégies pour contrer la pénurie, outre le recrutemen­t d'immigrants qui devrait être au sommet des préoccupat­ions.

Les auteurs suggèrent notamment de faire non seulement le marketing de leurs produits et services, mais aussi de leur entreprise dans les réseaux sociaux auprès des candidats potentiels. «Il leur faut développer une propositio­n qui explique qu'on est un bon employeur, qu'on offre des conditions flexibles, qu'on offre peut-être des horaires flexibles», avance Pierre Cléroux.

L'étude met aussi l'emphase sur des politiques de ressources humaines claires et connues de tous, la valorisati­on de l'entreprise auprès des employés, des pratiques de flexibilit­é qui permettent non seulement d'attirer, mais aussi de retenir la maind'oeuvre.

Le sondage en ligne, mené par Maru/Matchbox, a été effectué auprès de 1208 petites et moyennes entreprise­s à l'échelle du Canada entre le 30 avril et le 11 mai 2018. Les résultats ont ensuite été pondérés par région et selon la taille des entreprise­s afin que les conclusion­s soient représenta­tives de l'ensemble de l'économie au Canada. La marge d'erreur maximale est de 2,8%, et ce, 19 fois sur 20, mais il s'agit d'un échantillo­nnage non probabilis­te. ■

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