ALÉNA: le Canada a besoin du chapitre 19, martèle Trudeau
Le premier ministre Justin Trudeau a qualifié Donald Trump de briseur des règles lorsqu'il a plaidé, mercredi, en faveur du maintien du chapitre sur le règlement des différends que le président américain veut éliminer de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).
Au cours d'un entretien téléphonique avec une station de radio d'Edmonton, M. Trudeau a présenté certaines de ses critiques les plus acerbes à l'endroit de l'imprévisible président américain, alors que la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, reprenait les pourparlers de l'ALÉNA à Washington avec le représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer.
Bien que Mme Freeland se soit dite d'accord avec l'évaluation de M. Trump faite par M. Trudeau, elle a insisté pour souligner la
Justin Trudeau
«bonne foi» et la «bonne volonté» de M. Lighthizer, alors que les négociations entrent dans une phase que plusieurs jugent critique.
M. Trudeau, quant à lui, a adopté un ton moins conciliant, affirmant à la station de radio CHED que le Canada ne céderait pas un pouce à la volonté de M. Trump de supprimer les panels de règlement des différends du chapitre 19 de l'ALÉNA. Ce chapitre permet aux entreprises de soumettre leurs différends à des arbitres indépendants, ce que M. Trump considère comme une violation de la souveraineté américaine.
«Nous devons conserver le règlement des différends du chapitre 19 parce que cela garantit que les règles sont vraiment respectées. Et nous savons que nous avons un président qui ne suit pas toujours les règles telles qu'elles sont présentées», a affirmé M. Trudeau.
Alors qu'elle émergeait dans l'humidité étouffante de Washington après deux heures de pourparlers avec M. Lighthizer, la ministre Freeland a répété qu'elle ne négocierait pas en public, comme convenu avec M. Lighthizer. Mais elle a ajouté: «Je suis d'accord avec le premier ministre en public tout le temps, et en privé 99,99% du temps (...) Il a fait des commentaires importants.»
LE SUPER BOWL, SOURCE DE MÉCONTENTEMENT
À la demande de M. Trump, les trois pays de l'ALÉNA négocient depuis plus d'un an pour renouveler l'accord trilatéral qui fait partie intégrante de l'économie du continent depuis plus de deux décennies. Les ÉtatsUnis et le Mexique ont conclu un accord le mois dernier, ce qui a forcé le Canada à négocier séparément avec les États-Unis.
Lors de l'entretien radiophonique à Edmonton, M. Trudeau a réitéré sa défense acharnée de l'exception culturelle du Canada dans l'ALÉNA.
Des sources bien au fait de la position de négociation canadienne disent que l'exception culturelle, que défend le Canada depuis la réouverture des pourparlers de l'ALÉNA, reste un point de friction dans les négociations, aussi avancées soient-elles.
«L'idée de la préserver reste un problème non résolu entre les deux», a indiqué une source qui a requis l'anonymat en raison du caractère sensible de la question.
Une partie de ce désaccord sur l'exception culturelle tourne autour de la décision du Canada d'autoriser la diffusion des publicités du Super Bowl américain.
La décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) d'autoriser la diffusion de publicités américaines parfois emblématiques à la télévision canadienne a soulevé la colère de M. Lighthizer pendant la longue renégociation de l'ALÉNA.
«Les États-Unis sont très préoccupés par cette politique», a écrit M. Lighthizer plus tôt cette année dans son rapport annuel sur les obstacles au commerce américain.
Dans une section sur le contenu canadien de la radiodiffusion, le représentant américain au Commerce a souligné la décision du CRTC en 2015 qui interdisait aux annonceurs canadiens d'insérer leurs publicités dans la diffusion du Super Bowl en remplacement des publicités américaines, plus populaires.
Les nouvelles règles sont entrées en vigueur à compter du Super Bowl de février 2017.
La Ligue nationale de football (NFL) et Bell Média, qui détiennent les droits canadiens sur le jeu, ont présenté séparément une demande auprès de la Cour d'appel fédérale pour faire annuler la décision. En décembre 2017, le tribunal a rejeté leurs appels.
Selon le rapport de M. Lighthizer, les réseaux américains étaient préoccupés par la politique du CRTC: «Les fournisseurs de programmes américains estiment que le prix payé par les réseaux canadiens pour les droits du Super Bowl est déterminé par la publicité qu'ils peuvent vendre au Canada et que la décision du CRTC réduit la valeur de leur programmation.»
D'après M. Lighthizer, les radiodiffuseurs américains en activité dans les États frontaliers se sont également plaints du fait que certains de leurs homologues canadiens captent les signaux américains et les redistribuent au Canada sans consentement. «Les États-Unis explorent des pistes pour répondre à ces préoccupations», a écrit M. Lighthizer. ■