Université Sacré-Coeur: les milles souvenirs de sept diplômés
Ils ont franchi les portes de l’Université Sacré-Coeur de Bathurst avec l’intention de changer le monde. Soixante ans plus tard, ils peuvent affirmer qu’ils ont réussi. Chacun à leur manière. Chacun humblement.
Cheveux blancs. Front dégarni. Voix plus faibles. Certains ont un peu de poids en trop. Le temps a certes fait son oeuvre auprès des finissants de la classe de 1958. Ils étaient 18. Il en reste 13. Sept ont pu encore témoigner de cette époque incroyable, où l’amitié créée pendant ces années précurseurs de grands bouleversements continue de les réunir comme des frères.
Rires, accolades, anecdotes et souvenirs ont alimenté pendant des heures cette rencontre dans un café de Caraquet, jeudi. Ils sont tous âgés aux alentours de 80 ans. «Quatre fois 20 ans», corrige aussitôt Germain Blanchard, de Caraquet, sourire en coin.
Oui, ils ont changé le monde à leur façon. Alphonse Richard, de Shediac, a été un des quatre curés de cette cohorte. Georges-Henri Harrisson, de Matane, a fait carrière dans l’enseignement. Arthur Pinet, de Bertrand, a oeuvré au ministère de l’Éducation. Cet ancien sous-ministre a même eu une école à son nom.
Claude Duguay, de Rimouski, a travaillé en médecine et en ophtalmologie. Hockeyeur réputé, ses parents ont refusé qu’il aille tenter sa chance avec le Canadien de Montréal et les Maple Leafs de Toronto. Clarence Landry, de Fredericton, a créé le premier programme francophone de science, sous les ordres d’Arthur Pinet.
Germain Blanchard a longtemps travaillé dans le domaine de l’éducation et a été maire de Caraquet pendant 17 ans. Donat Lacroix a pratiqué la pêche et ses chansons ont fait le tour du monde, notamment à bord de la navette spatiale.
Parmi les absents, certains ont dû les regarder d’en haut, non sans une pointe de nostalgie. Yvon Bastarache, curé et appelé la Mère Theresa de Cuba. Rhéal Haché, ce grand sportif et missionnaire à qui on doit notamment une course annuelle à Saint-Isidore. Léonce Boudreau, la matière grise du groupe avec son doctorat en psychologie.
Mais en l’espace de quelques heures de franches retrouvailles, ces titres et ces honneurs n’existaient plus. Il n’y avait plus que sept hommes avec un coeur d’enfant, les yeux pétillants et heureux de renouer des liens encore si forts.
«C’est la gang des “T’en souviens-tu”», va même jusqu’à lancer une conjointe, émerveillée par cette allure de jeunesse retrouvée.
«J’étais à Matane et le prêtre voulait que je fasse un curé. Mes parents ne voulaient pas m’envoyer à Gaspé ou à Rimouski. Ils m’ont envoyé à Bathurst. Je ne l’ai jamais regretté», soutient M. Harrisson, un pincesans-rire qui aimait bien utiliser son nom, devenu célèbre quelques années plus tard, pour jouer des tours.
Clarence Landry est arrivé dans la région Chaleur après une année à l’Institut SaintJoseph de Memramcook. Il a tout de suite été accepté dans le groupe.
«C’est la meilleure chose qui me soit arrivé», avoue-t-il aujourd’hui avec émotions, en regardant ses amis.
«On en garde tous de très bons souvenirs, enchaîne Alphonse Richard. Je venais d’une famille nombreuse et je me suis retrouvé dans une deuxième famille nombreuse. Il ne faut pas oublier que nous avons passé sept ans ensemble.»
Tous sont d’avis que le programme de l’époque a été un catalyseur dans l’unité fraternelle de cette classe.
«Les Humanités (le nom donné au programme) ont fait de nous des humains, croit Donat Lacroix. On apprenait le latin, le grec, la discipline, la littérature française… On baignait dans cette grande culture et cela nous a formés. Nous avons été dans la chorale ensemble, du théâtre, joué au hockey et au baseball. Nous étions des rassembleurs et il régnait entre nous un esprit qui n’existait pas ailleurs.»
«Il n’y avait pas d’égo, ni de jalousie entre nous, assure Claude Duguay. Quand j’ai organisé des retrouvailles en 1990, ils étaient tous venus, sauf deux. Ça fait trois fois que nous allons ensemble à Cuba. Quand tu ajoutes toutes les années de pension, ça veut dire qu’on se connaît depuis 67 ou 68 ans.»
Assis dans un coin du café, Arthur Pinet écoute ses amis ramener une multitude d’anecdotes. Il a une pensée pour ceux qui ne sont pas là.
«Il ne faut pas les oublier. Ils ont fait des choses extraordinaires», raconte-t-il, sous l’approbation de tous.
Un livre sur leur épopée a été publié aux Éditions de la Francophonie, en 2012. Clarence Landry a fait le gros du travail, mais Claude Duguay et Léonce Boudreau ont aidé.
«Je lis souvent ces souvenirs, confie M. Harrisson. Ça me sert régulièrement.»
On peut dire que, le temps de quelques heures, la gang des “T’en souviens-tu” est retournée en 1958, quand elle a franchi les portes de l’Université Sacré-Coeur de Bathurst vers le monde.
Un monde qu’ils ont changé, une brique à la fois. ■