Les perdants des débats des chefs
Trois débats des chefs ont eu lieu la semaine dernière. La tradition veut normalement que les médias décrètent un gagnant, quand il y en a un. Dans ces cas-ci, il y a plutôt un groupe d’électeurs qui ont perdu au change: les francophones du Nouveau-Brunswick.
Le format des débats a empêché les chefs de se démarquer. Ils étaient cinq à participer à celui de CBC. Le modérateur Harry Forestell n’a jamais vraiment imposé son autorité, si bien que l’exercice est souvent tombé dans la cacophonie.
Le chef progressiste-conservateur Blaine Higgs a éventuellement volé la vedette en annonçant que Brian Gallant lui avait offert de devenir son ministre des Finances, il y a quatre ans, mais on ne peut pas vraiment dire qu’il (ou aucun autre participant) a remporté le débat.
Les débats de Télé Rogers, tant en anglais qu’en français, ont été plus ordonnés. En fait, il s’agissait moins de débats que d’une occasion pour les chefs de prendre la parole chacun leur tour, quand les animateurs le leur permettaient.
Nous nous interrogeons aussi sur le jugement de Télé Rogers et de Brunswick News au moment d’envoyer les cartes d’invitation. L’Alliance des gens, dont les intentions de vote frôlent le 0% dans les régions francophones, n’aurait pas dû être invitée au débat en français.
Quant au chef du KISS Party, il n’aurait pas dû être invité du tout, ni en anglais, ni en français.
Son chef Gerald Bourque n’était manifestement pas au fait des dossiers et a fait perdre le temps de tout le monde avec ses élucubrations. Dans le débat Rogers en français, il a tout bonnement annoncé que sa solution pour mettre fin aux tensions linguistiques dans la province est de mettre les élèves francophones et anglophones dans les mêmes classes. Ils deviendraient ainsi bilingues au contact des autres à la cafétéria et dans la cour de récréation, croit-il.
Il a fallu l’intervention du libéral Brian Gallant pour lui rappeler que ce serait une voie rapide vers l’assimilation des francophones. Sans compter que cela irait à l’encontre de la constitution.
Cet incident - de même que les critiques émises par le chef de l’Alliance des gens Kris Austin contre le bilinguisme officiel - nous rappelle le grand paradoxe de cette campagne électorale ainsi que de ces trois débats. Nous parlons de droits linguistiques presque tous les jours, mais jamais d’un point de vue favorable aux francophones.
Aucun chef ne met de l’avant des idées pour renforcer les droits de la minorité acadienne, pour bonifier la qualité des services gouvernementaux dans les deux langues, etc.
En fait, si on se fie au contenu des débats, le bilinguisme officiel est un enjeu pour la population anglophone seulement.
On l’a vu avec Blaine Higgs qui a une nouvelle fois dénoncé le fait que trop peu de jeunes anglophones sont bilingues à la sortie des classes et qui a paradoxalement critiqué le programme d’immersion française dès la première année imposé par le gouvernement Gallant dans les écoles de langue anglaise.
Toujours dans le débat en français, Kris Austin a réitéré son intention de supprimer le commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick. Interrogé sur ses intentions, Blaine Higgs a préféré contourner la question sans jamais y répondre.
M. Higgs a toutefois confirmé après les débats qu’il n’éliminera pas ce poste s’il devient premier ministre du N.-B.
Ajoutons à cela que le débat se déroulait en français, mais avec la moitié des participants qui le faisait grâce à la traduction simultanée, rendant le tout d’autant plus pénible pour les francophones. Le jour n’est sans doute pas loin où il n’y aura qu’un seul débat électoral par campagne - entièrement dans la langue de Shakespeare - avec traduction simultanée en français.
Le véritable débat, celui qui sera le plus pertinent et qui aura la plus grande incidence dans cette campagne, aura d’ailleurs lieu en anglais seulement, jeudi, sous la forme d’une table ronde à CTV.
Ce réseau est le seul qui ne sent pas obligé d’inviter tous les chefs de parti. Brian Gallant, Blaine Higgs et le chef du Parti vert David Coon débattront des véritables enjeux, sans la présence d’un candidat antifrancophone ou d’un autre qui est plus doué à mettre en valeur son chapeau de cowboy qu’à défendre des politiques sérieuses et crédibles.
Malheureusement, il n’y aura pas d’équivalent pour l’électorat acadien. Nous devons nous contenter du débat Rogers de vendredi: un exercice qui a permis aux chefs de bien résumer leurs principales promesses et critiques à propos de leurs adversaires, mais qui ne fait pas la lumière sur les enjeux qui touchent en particulier les francophones.