Acadie Nouvelle

La fatigue des fleurs

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Au milieu du cloître de l’abbaye, il y a un jardin. Plutôt des arbres et des fleurs sauvages que les moines ont tenu à conserver. Depuis mon arrivée ici, les Rudbeckias, ces fleurs de marguerite jaune au coeur brun pourpre, illuminent le jardin et les visages des moines qui les croisent à chaque procession. scomo@nbnet.nb.ca

Elles aussi m’ont accueilli, discrèteme­nt, mettant en valeur ce qu’elles avaient à offrir. Or, ces derniers jours, elles ont perdu de la vigueur. Je les trouve fatiguées. Une fatigue légitime. Ce n’est pas la fatigue qui accompagne une maladie. Ou celle qui arrive au terme d’une journée d’effort. C’est la fatigue de la fin de la vie.

Malgré cette fatigue, normale et prévisible, elles ne baissent pas les bras (ou plutôt les pétales). Elles continuent de refléter les rayons du soleil. Elles demeurent debout, fières sur leur pied et leur jambe ténue. En ces premières heures d’une nouvelle saison, elles prolongent le spectacle d’un bel été. Elles sont fidèles.

Fidèles dans leur fatigue. Elles savent bien que la fin approche. Qu’elles devront elles aussi baisser pavillon. Elles savent qu’elles appartiend­ront bientôt aux souvenirs d’une saison si belle à cause d’elles. En dépit de tout cela, elles continuent de vivre et d’embellir le quotidien, fidèles à ce qu’elles ont été à longueur de journée pendant leur courte existence.

Bientôt, la forêt va se métamorpho­ser avant d’entrer dans le repos de l’hiver. Les feuilles des arbres vont rivaliser entre elles pour montrer qui peut rougir sans avoir honte, prendre la couleur de l’or sans être riche, s’habiller d’orangé sans se donner en spectacle. Dans un dernier soubresaut de gloire, la forêt va prendre toute l’énergie qu’il lui reste pour nous donner une finale époustoufl­ante. Comme la finale des feux d’artifice qui ravit la foule.

Pour les fleurs, rien de tout cela! Le spectacle va se terminer comme il a commencé: discrèteme­nt, sans que personne ne s’en aperçoive peut-être. Mais jusqu’à la fin, elles vont rester fidèles à transmettr­e la beauté. Sans faire d’éclat. Sans attirer le regard.

Jusqu’à la fin de leur vie, malgré la fatigue des jours, elles donnent le meilleur d’ellesmêmes. Elles me parlent de la vie humaine. Comme tant d’autres, elles m’apprennent à aller jusqu’au bout, à rester fidèle coûte que coûte. Bénies soient-elles!

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– Gracieuset­é
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