UNE BRÈCHE QUI POURRAIT ÊTRE FATALE
Un producteur laitier de Belledune croit que plusieurs producteurs au Nouveau-Brunswick pourraient ne pas survivre au nouvel accord CanadaÉtats-Unis-Mexique. À commencer par lui-même.
«C’est une journée bien triste pour l’industrie laitière du N.-B. et du Canada.»
Nick Duivenvoorden a l’impression d’avoir été abandonné par Ottawa. Pire, il a l’impression d’avoir été trahi.
Il fait bien entendu référence à l’entente signée plus tôt cette semaine par le gouvernement libéral de Justin Trudeau avec l’administration Trump, le nouveau partenariat Canada-États-Unis-Mexique. Dans celle-ci, le Canada ouvre davantage son marché à son voisin.
Producteur laitier, celui qui a déjà été maire de Belledune possède une ferme comptant quelque 65 vaches holsteins. Il n’est pas le plus petit des 192 producteurs de la province, mais aussi loin d’être le plus gros. Dans le sud de la province, certaines fermes comptent plus de 400 bêtes. C’est là d’ailleurs où se concentre la production de lait. Au Restigouche, il ne reste que quatre ou cinq producteurs.
Comme tous les producteurs, M. Duivendoorden se lève tôt en vue de la traite. Il soutire à ses vaches environ 1500 litres de lait quotidiennement. Ce dernier nous a d’ailleurs invités à faire une visite de ses installations. En marchant vers son troupeau, il arrête un instant devant son bureau de travail. Sur les murs, des dizaines de certificats et rubans remportés lors des foires agricoles au fil des années. Celui-ci s’enorgueillit de cette récolte.
«J’ai vraiment un beau troupeau, de très bonnes vaches», lance-t-il avant de nous présenter l’une de ses préférées, Mercury.
D’ordinaire optimiste, celui-ci entrevoit toutefois depuis quelques jours l’avenir de sa petite ferme avec beaucoup moins d’enthousiasme. À l’aube de la soixantaine, il comptait bientôt donner les clés de l’entreprise – qu’il a lui-même repris de son père – à ses trois enfants, question de prendre une retraite bien méritée.
«Ça fait 40 ans que je fais cela et je me suis toujours dit que je ne vais pas mourir au travail. Je veux profiter de la vie également, comme tout le monde. Mais cette entente vient changer considérablement les choses», exprime-t-il.
La raison? L’entente commerciale conclue il y a quelques jours entre le Canada, les ÉtatsUnis et le Mexique, une entente où des concessions importantes ont été effectuées au niveau de l’industrie laitière canadienne. M. Duivendoorden ne mâche d’ailleurs pas ses mots envers celle-ci, car ce sont les producteurs comme lui qui risquent fort d’y perdre au change.
Il prédit que ce dossier hantera les libéraux fédéraux pendant très longtemps.
«Ils ont répété et répété qu’ils allaient protéger le système de gestion de l’offre. Ils ont menti. Ils en ont donné un morceau ici, un autre là. Et aujourd’hui, c’est le système entier qui – à force de compromis – risque de s’effondrer.»
Décidément, il en a gros sur le coeur.
CONCESSIONS IMPORTANTES
Mais qu’est-ce que représente l’ouverture du marché laitier canadien aux producteurs américains? Une brèche énorme selon M. Duivendoorden, une brèche dont les effets seront désastreux pour l’industrie en générale incluant sa propre entreprise. Il nous montre, entre autres, le résumé d’une analyse fraîchement pondue par les Producteurs laitiers du Canada, un document qui lui donne froid dans le dos. Les répercussions anticipées par l’industrie vont bien au-delà de celles énoncées par le gouvernement.
On craint notamment de pertes monétaires annuelles de 192 millions $ pour les 12 000 producteurs canadiens.
«Le paysage laitier va inévitablement changer, partout au pays, et on n’y échappera pas ici, au Nouveau-Brunswick, même si on ne représente qu’environ 2% de la production nationale», explique-t-il.
Selon lui, les concessions sont trop importantes. «Pour moi, ça signifie que je devrai fort probablement réduire ma production, au point de compromettre ma rentabilité. C’est une gifle après l’autre que l’on encaisse, mais celle-ci va en jeter plusieurs au tapis, et surtout les petits producteurs en région», dit-il, avouant avoir déjà réduit sa cadence en raison de la mise en oeuvre des deux premières ententes. ■