Acadie Nouvelle

Le Grand Charles

- Calixte Duguay Caraquet

Pourquoi, à l’annonce du décès de Charles Aznavour, n’ai-je pas été aussi triste que j’aurais pu - ou dû - l’être? Tout simplement parce que, ce matin-là, mon premier sentiment en a été un d’admiration devant l’oeuvre colossale qu’il nous a laissée. Tout aussi colossale que le bonhomme qui l’a créée.

Et puis, tout de suite après me sont venus à l’esprit les mots d’un autre géant de la chanson, Jacques Brel. «J’veux qu’on rie, j’veux qu’on danse, j’veux qu’on s’amuse comme des fous / J’veux qu’on rie j’veux qu’on danse/ Quand c’est qu’on m’mettra dans l’trou». A-t-il écrit - et chante-t-il encore par disque interposé dans sa chanson Le Moribond. Et, toujours dans la même chanson: «C’est dur de mourir au printemps, tu sais / Mais j’pars aux fleurs, la paix dans l’âme». Mourir aux fleurs, la paix dans l’âme, je soupçonne que c’est ainsi que ça s’est passé pour le grand Charles.

Bien sûr, je n’ai ni dansé, ni ri, pas plus que je ne me suis amusé comme un fou, mais le voyant ainsi partir après presque un siècle d’une vie remplie à souhait, avec, après 72 ans de carrière, près de 1500 chansons et plus de 60 films, avec sa présence chaleureus­e, simple et toujours éminemment humaine malgré son statut de méga-star, quelque chose en moi me disait que ce serait inappropri­é de verser des larmes de crocodile. Surtout que Charles Aznavour n’est pas mort. Il vit d’une autre vie - et vivra longtemps encore - dans des chansons telles que La Bohème, La Mamma, Je m’voyais déjà, Emmenez-moi, Paris au mois d’août, Que c’est triste Venise, Les Plaisirs démodés, parmi les plus connues, et surtout, pour moi en tout cas, quelques-unes parmi les moins connues de lui, et peut-être les meilleures pour cette raison-là: Les Enfants de la guerre, Je bois, Le Toréador (qu’interprète si bien mon ami Michel Carpentier) et tant d’autres de même facture et du même souffle, qu’il a données en cadeau à l’humanité. Je pourrais continuer ainsi et vous donner les titres de plusieurs centaines d’autres mais vous épargnerai cette lecture.

Rares sont les auteurs qui ont su mieux que lui explorer la totalité des facettes de l’amour. Non, mon Charles, je ne suis pas si triste que ça, ce matin. Bonne route dans ce grand et lointain voyage que tu viens d’entreprend­re et dont personne, malgré ce qu’on en dit, ne connaît la destinatio­n. Sauf toi, maintenant, peutêtre... Viva la vida. Et Viva el amor, sacordjé.

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