Acadie Nouvelle

Vert, couleur de l’espoir

- Morinrossi­gnol@gmail.com

L’élection de trois députés de l’Alliance fait peur. La francophon­ie provincial­e, apparemmen­t assoupie, n’a pas vu le renard entrer dans la bergerie. Et le renard est entré par la grande porte laissée ouverte.

Ça prouve que la vigilance linguistiq­ue n’est pas encore devenue un réflexe automatiqu­e chez tous les francophon­es du Niou-Brunswick.

Au Canada, les droits linguistiq­ues des francophon­es sont ballottés, de l’Atlantique au Pacifique, par les us et coutumes locales, par l’Histoire, par la politique et, malheureus­ement, par les humeurs des politicien­s qui prennent le pouvoir. Faut toujours garder l’oeil ouvert!

Au Niou-Brunswick, pour des raisons historique­s surtout, les Acadiens ont jeté leur dévolu sur le Parti libéral depuis des lustres. Force est de constater que le ressentime­nt historique transcende le raisonneme­nt stratégiqu­e!

C’est pourquoi, peu importe que la situation économique et le développem­ent des régions libérales laissent grandement à désirer (vive le rattrapage?), les Acadiens préfèrent généraleme­nt croire aux mirages libéraux plutôt qu’aux chants des sirènes bleues.

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Il y a bien quelques localités plus ambivalent­es à cet égard, comme au NordOuest, par exemple.

Peut-être que la population de cette région, à cause entre autres de ses origines bigarrées, n’entretient pas le même ressentime­nt historique à l’égard des conservate­urs.

Car même si, depuis une décennie, le fameux concept fantaisist­e des six peuples fondateurs – longtemps le point de mire de la légende brayonne et valeur ajoutée à l’industrie touristiqu­e locale – est passé au mixeur d’un révisionni­sme historique politiquem­ent correct qui a eu pour effet de dégonfler la flamboyanc­e identitair­e du lieu et son potentiel touristiqu­e, son fantôme à six têtes, toujours présent dans l’imaginaire d’une bonne partie de la population, aime bien venir à l’occasion faire des peurs aux politicien­s en période électorale.

C’est peut-être ce qui explique que le Parti vert a fait appel au maire Cyrille 1er d’Edmundston pour tenter de dénouer l’impasse postélecto­rale. Qui sait.

Mais je digresse.

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Revenons aux trois mousquetai­res de l’Alliance.

Ce n’est pas la première fois qu’un gouverneme­nt conservate­ur provincial doit transiger avec des anti-bilinguism­e ou des anti-dualisme pour gouverner.

Petit retour en arrière, pour se rafraîchir la mémoire. Aux élections provincial­es de 1978, les conservate­urs de Richard Hatfield ont fait élire 30 députés, et les libéraux de Joseph Daigle en ont fait élire 28.

Parmi les députés conservate­urs, certains (trois en particulie­r…!) voyaient d’un très mauvais oeil tout ce qui touchait au fait français, les bons vieux réflexes loyalistes ayant la couenne dure.

Malheureus­ement pour eux, le premier ministre Hatfield – aiguillonn­é sur son flanc gauche par un Jean-Maurice Simard pour qui the sky était the limit en matière de francophon­ie, et par une société civile acadienne particuliè­rement vigilante – avait épousé la thèse dualiste en Éducation, avec écoles homogènes à l’appui.

Cette affaire réglée, Simard, épaulé par d’autres députés défenseurs d’une francophon­ie forte, tels que Jean Gauvin et JeanPierre Ouellet, sans oublier l’anglophone Brenda Robertson, et enhardi par des revendicat­ions nationalis­tes acadiennes tonitruant­es, décida de faire adopter par son gouverneme­nt la désormais célèbre loi 88, la loi sur l’égalité.

Inutile d’épiloguer longuement sur le fait que la chose fut accueillie comme une sorte d’hérésie par les trois anti-bilingue et anti-dualisme du gouverneme­nt Hatfield!

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C’est à ce moment que je suis arrivé à Fredericto­n, en vue de la préparatio­n de l’argumentai­re gouverneme­ntal qui serait déployé dans le grand débat public qui devait précéder l’adoption d’une telle loi historique.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ces trois irréductib­les députés conservate­urs détenaient en quelque sorte la balance du pouvoir. Et j’ai pu constater, de l’intérieur, comment le gouverneme­nt Hatfield a dû louvoyer entre moult écueils partisans pour faire adopter cette fameuse loi, le 17 juillet 1981.

Mais il a réussi! À force de volonté politique, et grâce à quelques compromis sur d’autres dossiers moins spectacula­ires mais utiles à ces députés récalcitra­nts.

Le chef conservate­ur actuel, même s’il ne compte dans son équipe qu’un seul député francophon­e, pourrait, en théorie, remporter un pari semblable. On s’entend qu’il ne fera pas adopter quelque loi historique que ce soit à l’égard du fait français, il n’y pense même pas.

Mais avec doigté, il pourrait à la fois laisser le champ libre à son député Robert Gauvin, tout en négociant quelques accommodem­ents sur d’autres dossiers non linguistiq­ues avec une Alliance désireuse de faire sa marque. Mais pas touche aux langues officielle­s, santé Vitalité, ambulances et autobus scolaires!

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Ce n’est qu’une hypothèse stratégiqu­e parmi d’autres que je formule afin de tenter de jeter un éclairage différent sur la situation, avant qu’elle ne tourne au vaudeville.

Oublier l’Alliance serait un bon signal pro-francophon­e, certes. Mais en attendant, inutile de traiter Robert Gauvin de traître, il ne l’est pas! Il a été dûment élu, et il représente un parti politique qui n’est pas fondamenta­lement anti-français. Il n’a pas à traverser la Chambre: elle n’est même pas ouverte!

Et si son chef Blaine Higgs s’est peutêtre égaré autrefois dans le labyrinthe linguistiq­ue, il n’aura pas le choix de respecter les lois et la constituti­on. De ce côté, inutile de paniquer. Car il sait qu’à partir de maintenant tout ce qu’il dira ou fera sera scruté à la loupe par la société civile acadienne. Bref, on chialera exactement comme du temps du Gallant gouverneme­nt! Car le bilan du Gallant gouverneme­nt en ce qui a trait à la défense du fait français est pitoyable. Pourtant, après l’avoir éreinté durant son mandat, les francophon­es ont voté pour lui! Trouvez l’erreur.

Maintenant, les francophon­es se retrouvent Gros-Jean comme devant, pognés avec un éventuel gouverneme­nt «anglais». Ciel, ce n’est pas le temps de vouloir faire taire le seul député francophon­e de la gang!

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Évidemment, ce qui pourrait alimenter un peu l’espoir, ce serait un gouverneme­nt rouge ou bleu allié aux Verts. Là, on entendrait un immense soupir de soulagemen­t dans la communauté acadienne.

Il n’aurait peut-être pas sur la destinée du genre humain l’effet papillon que certains prophétise­nt, mais mozusse que ça ferait du bien!

Après tout, le vert, c’est la couleur de l’espoir!

Han, Madame? ■

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Le gouverneme­nt du premier ministre Richard Hatfield (ci-dessus) a dû louvoyer entre moult écueils partisans pour faire adopter la fameuse loi 88. – Archives
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