Vert, couleur de l’espoir
L’élection de trois députés de l’Alliance fait peur. La francophonie provinciale, apparemment assoupie, n’a pas vu le renard entrer dans la bergerie. Et le renard est entré par la grande porte laissée ouverte.
Ça prouve que la vigilance linguistique n’est pas encore devenue un réflexe automatique chez tous les francophones du Niou-Brunswick.
Au Canada, les droits linguistiques des francophones sont ballottés, de l’Atlantique au Pacifique, par les us et coutumes locales, par l’Histoire, par la politique et, malheureusement, par les humeurs des politiciens qui prennent le pouvoir. Faut toujours garder l’oeil ouvert!
Au Niou-Brunswick, pour des raisons historiques surtout, les Acadiens ont jeté leur dévolu sur le Parti libéral depuis des lustres. Force est de constater que le ressentiment historique transcende le raisonnement stratégique!
C’est pourquoi, peu importe que la situation économique et le développement des régions libérales laissent grandement à désirer (vive le rattrapage?), les Acadiens préfèrent généralement croire aux mirages libéraux plutôt qu’aux chants des sirènes bleues.
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Il y a bien quelques localités plus ambivalentes à cet égard, comme au NordOuest, par exemple.
Peut-être que la population de cette région, à cause entre autres de ses origines bigarrées, n’entretient pas le même ressentiment historique à l’égard des conservateurs.
Car même si, depuis une décennie, le fameux concept fantaisiste des six peuples fondateurs – longtemps le point de mire de la légende brayonne et valeur ajoutée à l’industrie touristique locale – est passé au mixeur d’un révisionnisme historique politiquement correct qui a eu pour effet de dégonfler la flamboyance identitaire du lieu et son potentiel touristique, son fantôme à six têtes, toujours présent dans l’imaginaire d’une bonne partie de la population, aime bien venir à l’occasion faire des peurs aux politiciens en période électorale.
C’est peut-être ce qui explique que le Parti vert a fait appel au maire Cyrille 1er d’Edmundston pour tenter de dénouer l’impasse postélectorale. Qui sait.
Mais je digresse.
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Revenons aux trois mousquetaires de l’Alliance.
Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement conservateur provincial doit transiger avec des anti-bilinguisme ou des anti-dualisme pour gouverner.
Petit retour en arrière, pour se rafraîchir la mémoire. Aux élections provinciales de 1978, les conservateurs de Richard Hatfield ont fait élire 30 députés, et les libéraux de Joseph Daigle en ont fait élire 28.
Parmi les députés conservateurs, certains (trois en particulier…!) voyaient d’un très mauvais oeil tout ce qui touchait au fait français, les bons vieux réflexes loyalistes ayant la couenne dure.
Malheureusement pour eux, le premier ministre Hatfield – aiguillonné sur son flanc gauche par un Jean-Maurice Simard pour qui the sky était the limit en matière de francophonie, et par une société civile acadienne particulièrement vigilante – avait épousé la thèse dualiste en Éducation, avec écoles homogènes à l’appui.
Cette affaire réglée, Simard, épaulé par d’autres députés défenseurs d’une francophonie forte, tels que Jean Gauvin et JeanPierre Ouellet, sans oublier l’anglophone Brenda Robertson, et enhardi par des revendications nationalistes acadiennes tonitruantes, décida de faire adopter par son gouvernement la désormais célèbre loi 88, la loi sur l’égalité.
Inutile d’épiloguer longuement sur le fait que la chose fut accueillie comme une sorte d’hérésie par les trois anti-bilingue et anti-dualisme du gouvernement Hatfield!
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C’est à ce moment que je suis arrivé à Fredericton, en vue de la préparation de l’argumentaire gouvernemental qui serait déployé dans le grand débat public qui devait précéder l’adoption d’une telle loi historique.
Ce qu’il faut retenir, c’est que ces trois irréductibles députés conservateurs détenaient en quelque sorte la balance du pouvoir. Et j’ai pu constater, de l’intérieur, comment le gouvernement Hatfield a dû louvoyer entre moult écueils partisans pour faire adopter cette fameuse loi, le 17 juillet 1981.
Mais il a réussi! À force de volonté politique, et grâce à quelques compromis sur d’autres dossiers moins spectaculaires mais utiles à ces députés récalcitrants.
Le chef conservateur actuel, même s’il ne compte dans son équipe qu’un seul député francophone, pourrait, en théorie, remporter un pari semblable. On s’entend qu’il ne fera pas adopter quelque loi historique que ce soit à l’égard du fait français, il n’y pense même pas.
Mais avec doigté, il pourrait à la fois laisser le champ libre à son député Robert Gauvin, tout en négociant quelques accommodements sur d’autres dossiers non linguistiques avec une Alliance désireuse de faire sa marque. Mais pas touche aux langues officielles, santé Vitalité, ambulances et autobus scolaires!
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Ce n’est qu’une hypothèse stratégique parmi d’autres que je formule afin de tenter de jeter un éclairage différent sur la situation, avant qu’elle ne tourne au vaudeville.
Oublier l’Alliance serait un bon signal pro-francophone, certes. Mais en attendant, inutile de traiter Robert Gauvin de traître, il ne l’est pas! Il a été dûment élu, et il représente un parti politique qui n’est pas fondamentalement anti-français. Il n’a pas à traverser la Chambre: elle n’est même pas ouverte!
Et si son chef Blaine Higgs s’est peutêtre égaré autrefois dans le labyrinthe linguistique, il n’aura pas le choix de respecter les lois et la constitution. De ce côté, inutile de paniquer. Car il sait qu’à partir de maintenant tout ce qu’il dira ou fera sera scruté à la loupe par la société civile acadienne. Bref, on chialera exactement comme du temps du Gallant gouvernement! Car le bilan du Gallant gouvernement en ce qui a trait à la défense du fait français est pitoyable. Pourtant, après l’avoir éreinté durant son mandat, les francophones ont voté pour lui! Trouvez l’erreur.
Maintenant, les francophones se retrouvent Gros-Jean comme devant, pognés avec un éventuel gouvernement «anglais». Ciel, ce n’est pas le temps de vouloir faire taire le seul député francophone de la gang!
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Évidemment, ce qui pourrait alimenter un peu l’espoir, ce serait un gouvernement rouge ou bleu allié aux Verts. Là, on entendrait un immense soupir de soulagement dans la communauté acadienne.
Il n’aurait peut-être pas sur la destinée du genre humain l’effet papillon que certains prophétisent, mais mozusse que ça ferait du bien!
Après tout, le vert, c’est la couleur de l’espoir!
Han, Madame? ■