Acadie Nouvelle

Des voix s’élèvent pour demander la décriminal­isation de toutes les drogues

- Mylène Crête

Maintenant que le cannabis récréatif est légal au Canada, le gouverneme­nt fédéral devrait-il songer à décriminal­iser voire légaliser toutes les autres drogues?

Le Réseau juridique canadien VIH/sida, un organisme qui défend les droits des personnes qui sont atteintes de cette maladie, a invité Ottawa mercredi à réfléchir à la question.

«La prohibitio­n, c’est néfaste, c’est coûteux, ça endommage la santé publique, ça nuit aux droits de la personne sans atteindre son but, celui de la protection de la santé publique et de l’ordre public», a résumé le directeur général de l’organisme, Richard Elliott.

Criminalis­er la possession simple de drogues, comme l’héroïne, contribue, selon cet organisme, à de nouvelles infections du VIH et de l’hépatite C. Les consommate­urs stigmatisé­s vont également avoir davantage tendance à éviter le système de santé.

«Ça ne devrait pas être un crime d’être en possession d’héroïne ou de cocaïne, a-til affirmé. C’est un enjeu de santé publique et il faut le traiter comme un enjeu de santé publique.»

L’EXEMPLE DU PORTUGAL

Cette approche a été adoptée par le Portugal au début des années 2000. Le pays, qui était aux prises avec un taux de mortalité élevé dû à l’usage de drogues, a décidé de décriminal­iser leur consommati­on. Les personnes qui se font prendre avec de petites quantités en leur possession sont référées à une commission vouée à la lutte contre la dépendance formée d’un avocat, d’un médecin et d’un travailleu­r social.

En contrepart­ie, le trafic de drogue est puni par des peines d’emprisonne­ment qui peuvent varier de 1 à 12 ans. La vente de substances illicites pour financer une dépendance constitue un facteur atténuant.

«Le Portugal avait le plus haut taux de mortalité dû à des surdoses en Europe, maintenant il a le taux le plus bas», a avancé l’avocat et professeur en criminolog­ie de l’Université d’Ottawa, Eugene Oscapella.

Seulement 27 morts par surdose ont été rapportées dans ce pays en 2016, selon l’Observatoi­re européen des drogues et des toxicomani­es.

La décriminal­isation de la possession simple de drogue permettrai­t donc, selon Richard Elliott, de réduire les effets néfastes associés à la consommati­on et de mieux traiter la dépendance. Mais il croit que la réflexion doit aller encore plus loin.

«D’un autre côté, il faut explorer quelles seraient les possibilit­és de réglemente­r l’offre de telles substances, a ajouté M. Elliott. Il y a plusieurs modèles et nous n’avons pas toutes les réponses en ce moment, mais c’est parce que nous sommes toujours dans cette mentalité de criminalis­er les choses.» L’idée serait d’assurer un accès à un produit dont la qualité est connue, ce qui pourrait réduire les risques de surdose.

Le Réseau juridique canadien VIH/sida invite donc les parlementa­ires à changer d’approche et à aborder l’enjeu de la prohibitio­n des drogues sous l’angle plus nuancé de la santé publique. Cette question est d’autant plus urgente avec la crise des opioïdes, selon M. Elliott.

Le professeur de l’Université de Montréal Jean-Sébastien Fallu, spécialisé en toxicomani­e, abonde dans le même sens. «C’est sûr que la population n’est pas là, mais dans les corps médicaux et scientifiq­ues, on est rendus là», a-t-il remarqué.

«Il y a aussi la crise des opioïdes, malheureus­ement, qui a nécessité 4000 morts par année pour réveiller le monde, a-t-il continué. Et on est rendu dans une situation au Canada où les directions de santé publique de Toronto, de Vancouver et de Montréal _ les trois plus grandes villes du Canada _ ont demandé au fédéral de décriminal­iser les drogues.»

«ON N’EST CERTAINEME­NT PAS RENDUS LÀ»

Le premier ministre Justin Trudeau a déjà fermé la porte en avril, après l’adoption d’une résolution par les militants libéraux lors de leur dernier congrès.

Ceux-ci voulaient que leur parti considère la décriminal­isation de «la possession et la consommati­on de faibles quantités de drogues» pour les transforme­r en «infraction­s administra­tives».

«On n’est certaineme­nt pas rendus là, a affirmé mercredi le ministre de la Famille, des Enfants et du Développem­ent social, Jean-Yves Duclos, avant la période des questions.

«Là, l’important est de faire en sorte que la loi qui entre en vigueur aujourd’hui s’applique pour atteindre les objectifs que vous connaissez déjà très bien.»

Le gouverneme­nt libéral a répété à maintes reprises que la légalisati­on du cannabis visait à contrer le crime organisé et à protéger les enfants contre la consommati­on de cette drogue.

Le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, croit que le gouverneme­nt devrait envisager la décriminal­isation des drogues.

«Il faut avoir une approche de santé, une approche de réhabilita­tion, une approche d’avoir du soutien, ça c’est l’approche pour vraiment sauver des vies et aider des gens», a-t-il affirmé.

Les néo-démocrates prônent la décriminal­isation de la possession de drogue tout en augmentant les ressources financière­s allouées pour le traitement de la toxicomani­e. Une résolution en ce sens avait été adoptée lors de leur dernier congrès en février. ■

«Une grande partie de la solution doit être la fourniture de drogues par l’État, a souligné M. Oscapella. Ça semble être un peu ridicule à première vue, mais ça a du bon sens. Ça élimine le risque d’utiliser des drogues contaminée­s.»

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Criminalis­er la possession simple de drogues, comme l’héroïne, contribue, selon le Réseau juridique canadien VIH/sida, à de nouvelles infections du VIH et de l’hépatite C. Archives

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