Acadie Nouvelle

Victimes collatéral­es

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Àtravers le Canada, toutes les communauté­s francophon­es ont à peu près disparu.» Cette déclaratio­n choc de Denise Bombardier à Tout le monde en parle, la semaine dernière, a fait réagir vivement en Acadie, et avec raison. Il est important de la remettre dans son contexte, lequel n’a à peu près rien à voir avec ces communauté­s francophon­es minoritair­es dont Mme Bombardier ne connaît manifestem­ent pas grand-chose.

Denise Bombardier était invitée afin d’y faire la promotion de son autobiogra­phie. Un livre dans lequel elle avoue d’ailleurs être attirée par la controvers­e «par conviction et par plaisir».

Voilà donc un personnage qui se targue d’aller à contre-courant, de bousculer quelques vaches sacrées ainsi que de provoquer la polémique. Et tant pis si elle doit marcher sur quelques pieds ici et là.

Elle est aussi une souveraini­ste convaincue et assumée. Et face à Jean Chrétien, lui aussi invité à Tout le monde en parle, la tentation était trop forte de débattre face à un homme qui a longtemps été considéré comme étant le principal ennemi du mouvement indépendan­tiste québécois.

M. Chrétien était lui aussi présent à l’émission pour faire la promotion d’un livre. Rapidement, le débat a dévié quand un autre invité, le chanteur Serge Fiori, s’est attaqué aux conviction­s fédéralist­es de l’ancien premier ministre du Canada.

C’est à ce moment que Jean Chrétien a commis le crime de lèse-majesté suprême, en déclarant c’est le fédéralism­e canadien qui a permis au Québec de s’épanouir en français. «Madame B.» a bondi et y est allé de sa malheureus­e déclaratio­n sur les francophon­es hors Québec.

Passons rapidement sur le peu de connaissan­ces de la polémiste sur la question. Elle a affirmé se rendre dans les communauté­s comme les nôtres une ou deux fois par année. Cela ne fait pas d’elle une experte, de la même façon que l’Acadien qui passe ses vacances chaque année à Old Orchard ou à Ogenquit ne peut être qualifié de spécialist­e de l’État du Maine.

Intéresson­s-nous plutôt au coeur du sujet. Jean Chrétien a-t-il raison de dire que c’est le cadre canadien qui a protégé la francophon­ie de l’extinction en Amérique du Nord?

Au Québec, il est clair que la force du nombre, le nationalis­me et la volonté d’un peuple de se donner des outils pour vivre en français, en particulie­r à compter des années 1970, a contribué à sa survivance.

De son côté, le Canada a des zones d’ombre à son actif. En 1890, le Manitoba a aboli le français comme langue officielle et mis fin aux écoles françaises séparées. Le gouverneme­nt libéral de Wilfrid Laurier n’a pas levé le petit doigt pour aider les francophon­es, mettant fin du même coup au rêve d’une province francophon­e ou bilingue dans l’Ouest canadien.

Il est par contre véridique de dire que le fédéralism­e canadien est plus ouvert aux minorités que ce qu’on retrouve aux ÉtatsUnis. Il suffit de comparer la situation des francophon­es en Louisiane à celle des Acadiens des Maritimes, ou même celle des francophon­es du Nouveau-Brunswick et du nord du Maine, pour le comprendre.

Bref, il s’agit d’un enjeu complexe, plein de nuances et qui ne peut se régler en quelques phrases balancées au cours d’une émission télévisée.

Ce n’était d’ailleurs pas du tout le but de Denise Bombardier, ce soir-là. Elle n’a pas parlé en tant qu’analyste des communauté­s francophon­es canadienne­s, mais plutôt comme une souveraini­ste désireuse de remettre un fédéralist­e honni à sa place. Nous ne sommes, en quelque sorte, que des victimes collatéral­es de ce débat. Apprécions ici l’ironie de la situation. Aucun parti faisant la promotion de l’indépendan­ce du Québec n’a dirigé un gouverneme­nt majoritair­e depuis 1998. Lors du plus récent scrutin, le Parti québécois et Québec solidaire, qui font tous les deux la promotion de cette option, ont fait élire chacun dix députés. Les partis fédéralist­es ont obtenu plus de 60% des voix.

Bref, Serge Fiori et Denise Bombardier ont débattu au nom d’un rêve qui s’éteint à petit feu. À ce rythme, ce sont les indépendan­tistes qui seront appelés à disparaîtr­e, avant les communauté­s francophon­es hors Québec.

Ce n’est pas nous qui le disons, mais Mme Bombardier elle-même. Dans une chronique intitulée En attendant la fin, la chroniqueu­se écrivait ceci au début de l’année: «C’est à une mort que nous assistons. La mort d’une espérance, d’une époque, d’une génération, d’une vision du Québec».

Le choix de vivre en français sera toujours un combat, comme nous le voyons au Nouveau-Brunswick avec l’émergence d’un parti politique qui s’oppose aux droits des francophon­es. L’assimilati­on fait des ravages, personne ne peut le nier. Et il est vrai que nous n’avons pas la force du nombre de notre côté.

Les défis sont réels. Mais nous sommes encore là. Et nous le serons bien après que Mme Bombardier ait fini de parler à travers son chapeau

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