Acadie Nouvelle

Les entreprise­s canadienne­s devront signaler les atteintes à la vie privée des citoyens

- David Paddon

Après plus de trois ans de mises au point et de réglages, une nouvelle loi fédérale obligera à compter de jeudi les entreprise­s canadienne­s à prévenir leurs clients – et le commissair­e à la protection de la vie privée – si des renseignem­ents personnels risquent de tomber entre de mauvaises mains.

Le fait de ne pas signaler une faille potentiell­e majeure de sécurité pourrait exposer les entreprise­s à des amendes pouvant aller jusqu’à 100 000$ chaque fois qu’un citoyen est affecté par une telle atteinte à sa vie privée – si le gouverneme­nt fédéral décidait d’engager des poursuites.

Toutefois, le Commissair­e à la protection de la vie privée, une agence parlementa­ire indépendan­te du gouverneme­nt, pourrait bien être freiné dans ses ardeurs par un manque de ressources et par les pouvoirs limités que lui confère la Loi sur la protection des renseignem­ents personnels et les documents électroniq­ues.

Le commissair­e à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, estime que son bureau a besoin d’environ six personnes supplément­aires pour analyser le nouveau flot de signalemen­ts qui risque d’arriver avec l’entrée en vigueur des modificati­ons à la loi.

En entrevue, M. Therrien admet que sans fonds supplément­aires, son bureau devra se concentrer sur les cas susceptibl­es de faire le plus de dommages.

Le Commissari­at à la protection de la vie privée pourra certes «recommande­r» aux entreprise­s d’améliorer leurs mesures de sécurité s’il constate des lacunes. Mais en vertu de la loi, le commissair­e ne peut ordonner des correctifs ou imposer des amendes – un pouvoir de coercition dont dispose son homologue albertaine depuis 2014.

«Ce n’est pas de notre ressort», a reconnu M. Therrien. «Il appartiend­ra au ministère de la Justice de décider de poursuivre ou non (...) Si c’est le cas, les amendes sont assez lourdes.»

Et comme la loi est pleine de formulatio­ns imprécises, exigeant des signalemen­ts «le plus tôt possible» après la détection d’un «risque réel de préjudice grave», certains incidents risquent d’être signalés tardivemen­t – voire pas du tout.

UNE MENACE QUI ÉVOLUE CONSTAMMEN­T

Le commissair­e Therrien a demandé à plusieurs reprises au gouverneme­nt davantage de pouvoirs d’enquête et de coercition, ainsi qu’une augmentati­on de 12 millions $ du budget annuel de 24 millions $.

Daniel Therrien

Le porte-parole conservate­ur en la matière, Peter Kent, a soutenu que M. Therrien bénéficiai­t de l’appui du comité multiparti­te des Communes. M. Kent croit que les pouvoirs du commissair­e doivent être renforcés compte tenu de l’évolution rapide de la technologi­e et des énormes ressources dont disposent des géants comme Facebook et Google. «La loi actuelle est à peine suffisante», estime M. Kent. «Nous ne faisons que gratter la surface d’une menace qui évolue très rapidement.»

Le député libéral Nathaniel Erskine-Smith, vice-président de ce Comité permanent de l’accès à l’informatio­n, de la protection des renseignem­ents personnels et de l’éthique, a parrainé un projet de loi d’initiative parlementa­ire visant à donner au commissair­e les pouvoirs de mener une enquête au sein d’une entreprise et d’imposer des amendes pouvant aller jusqu’à 30 millions $. Ces projets de loi d’initiative parlementa­ire sont toutefois rarement adoptés au Parlement.

Ale Brown, qui conseille des compagnies nord-américaine­s en matière de protection de la vie privée, estime que les entreprise­s canadienne­s ne sont généraleme­nt pas préparées aux nouvelles règles fédérales. «Les entreprise­s qui sont prêtes le sont déjà depuis longtemps: elles prennent cet enjeu au sérieux et disposent de procédures en place, ce n’est donc pas un grand changement pour elles.»

Mais beaucoup d’autres n’ont rien fait pour se préparer aux nouvelles exigences de la loi, et Mme Brown croit que ce laxisme est notamment attribuabl­e aux pouvoirs de coercition limités du commissair­e fédéral. «D’après mon expérience, j’ai constaté que les entreprise­s agissent lorsqu’elles voient leurs bénéfices menacés.»

L’avocat spécialisé Ryan Berger ajoute que les entreprise­s sont souvent mues, aussi, par la crainte d’être poursuivie­s par les citoyens lésés. Il croit par ailleurs que «de nombreuses entreprise­s au Canada ne réaliseron­t même pas que ces nouvelles règles vont s’appliquer à elles». ■

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