Acadie Nouvelle

RINO MORIN ROSSIGNOL: LES CHEFS ET LA LANGUE

- morinrossi­gnol@gmail.com

Conseil gratuit pour le nouveau premier ministre Higgs du NiouBrunsw­ick. On ne dit pas: les francophon­es devraient être «reconnaiss­ants». Surtout pour quelque chose qu’ils n’ont pas! Ça sonne un peu trop comme un ancien coriste!

Je dis ça à cause de l’une de ses interventi­ons à titre de premier ministre désigné, lue dans le journal, traitant du problème de l’embauche d’ambulancie­rs unilingues anglais.

Faisant fi des inquiétude­s réelles des francophon­es à ce sujet, il précisait: «Ils devraient être reconnaiss­ants (je souligne) que nous voulons fournir les soins de santé dont ils ont besoin dans toute la province…». Et bla bla bla.

Oui, à l’instar des anglophone­s, les francophon­es se préoccupen­t de santé. De là à exiger de ces derniers de la reconnaiss­ance pour des services en santé auxquels ils ont droit, et qui touchent concomitam­ment (et négativeme­nt!) à leurs droits linguistiq­ues, c’est fort en café!

Cette sorte de «reconnaiss­ance», c’est comme l’apartheid: c’est passé date!

Le nouveau premier ministre a tort de négliger le fait que, pour les francophon­es, la dimension linguistiq­ue fasse partie du problème.

Vivement un éveil de conscience,

Monsieur Higgs!

Esprit Saint, éclairez-le!

Certes, soyons positifs, c’est gentil de vouloir offrir des cours de français aux ambulancie­rs unilingues anglais pognés pour aider des malades unilingues français.

Tenez, je fais ma part et j’offre gratuiteme­nt un premier cours de français à ces ambulancie­rs!

Premier cours. Dites : «Voichi chix chasseurs de dindes chauvages chassant chasser chans chien». Et on répète jusqu’à che que cha choit chimple et fachile à djire.

Si après trois ans d’un cours de cette qualité, ces ambulancie­rs peuvent énoncer clairement au malade: «Vous souffrez d’une occlusion intestinal­e au niveau de l’intestin grêle», ce sera parfait!

Mais ce sera raté si tout ce qu’ils peuvent dire, c’est: «Ta caca est stuck dans la bowel du ton bedaine».

Et, ciel, si ceci se sait, ces soins-ci sont sans succès! Pour avoir moi-même appris le français, je sais que pour passer de la langue de coton fripé de Shakespear­e à la langue de velours élimé de Molière, il ne faut pas garder sa langue dans sa poche!

Quoi qu’il faille aussi savoir la tenir, sa langue, surtout si elle est bien pendue.

C’est d’ailleurs comme ça qu’est né le french kiss.

Mais tout ça n’interdit pas de se demander à quoi sert d’apprendre le français.

Car, trop souvent, au Canada anglais, quand ils sortent de leurs classes, les petits anglos qui étudient le français ont vite fait de comprendre que c’est une langue invisible: affichage en anglais, raisons sociales en anglais, indication­s routières en anglais, films en anglais, menus en anglais, sports en anglais, musique anglaise, internet en anglais, alouette! Décor linguistiq­ue identique dans les grandes chaînes, les épiceries, les arénas, les écoles même! Y compris en ambulance?

Bref: bientôt on se croira en Frônce!

Quand on peine à saisir à quoi sert le français, on a déjà moins envie de l’apprendre.

À moins, bien sûr, d’aller faire du tourisme dans un coin où les dialectes français sont discrèteme­nt affichés.

Ici et là, on pourra voir des mots avec des ti-chapeaux et des ti-points sur les lettres, pis des tites guirlandes qui pendent en-dessous d’autres lettres.

Bref: des heures de plaisir à essayer de déchiffrer ces hiéroglyph­es et à se demander comment il se fait que ce monde-là écrit encore comme dans le temps de Néfertiti!

Exotic New Brunswick!

Non, Monsieur Higgs, inutile d’apprendre l’anglais. Ne tannez pas les ambulancie­rs avec ça. De toute façon, pendant qu’ils étudient, ils ne seront pas dans les ambulances, là où, justement, vous voulez les envoyer!

Plutôt, embauchez des francophon­es comme interprète­s!

Jumelez chaque fonctionna­ire unilingue anglais avec un francophon­e! En plus de boucher le trou noir, vous n’aurez plus de problème de langue. Et les francophon­es non plus!

Yéé. Je viens de régler le problème linguistiq­ue du Niou-Brunswick! Vous me remerciere­z plus tard.

LE CHEF BRIAN GALLANT

Cela dit, ce n’est pas sans un pincement au coeur que je vois l’ex-premier ministre Gallant quitter ses fonctions. Même s’il m’est arrivé de «varloper» son gouverneme­nt, comme m’a déjà dit amicalemen­t une ministre.

Je pense toujours qu’il a tout ce qu’il faut pour être un bon chef. Et il a eu l’humilité de reconnaîtr­e lors de son dernier discours en Chambre qu’il avait manqué de conviction sur la question linguistiq­ue. C’est vrai.

Sans doute ne voulait-il pas déplaire à l’électorat anglophone. Mal lui en prit, car ça n’a pas augmenté sa cote de leadership auprès de cet électorat qui a plutôt vu, dans cette désinvoltu­re politique, un chef qui reculait, qui ne s’affirmait pas.

Alors, cet électorat anglophone s’est tourné vers des compatriot­es dont ils saisissent plus intimement les motivation­s.

Oui, son gouverneme­nt a essayé de se tenir loin du dossier linguistiq­ue. Pourtant, ce n’est pas en abordant de front les dossiers linguistiq­ues qu’on crée des problèmes au Niou-Brunswick, c’est plutôt en évitant d’y toucher!

Monsieur Higgs semble l’avoir compris, du moins pour sa communauté linguistiq­ue. Voyez comme on trouve vite une «solution» pour un dossier linguistiq­ue quand il touche la communauté anglophone! Souhaitons qu’en rafistolan­t le dossier des ambulancie­rs, que Medavie ne semble pas maîtriser, le nouveau premier ministre jugera utile d’examiner le dossier du service extra-mural, avant que, là aussi, ne s’empilent les incidents linguistiq­ues et les bévues profession­nelles.

De grands noms politiques de naguère ont été évoqués pendant la campagne. Robichaud, Hatfield, Simard, Gauvin et quelques autres.

Leurs caractéris­tiques communes: ils étaient unis dans la défense de l’égalité réelle des citoyens et dans la reconnaiss­ance de leurs droits linguistiq­ues.

Pendant leur vie politique, ils ont tous dû braver des tempêtes, mais, par la force de leurs conviction­s INÉBRANLAB­LES, ils ont pu amener le bateau linguistiq­ue à bon port.

Brian Gallant a cette capacité. S’il sait s’entourer d’une garde rapprochée moins timorée, formée de collaborat­eurs francophil­es convaincus.

Ce serait regrettabl­e qu’il jette l’éponge trop rapidement. Un vrai leader, ça fonce! Let’s go, Brian!

Han, Madame? ■

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– Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue Blaine Higgs, vendredi, à Fredericto­n.
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