LE «GROS BON SENS» DE KRIS AUSTIN
Kris Austin répète sur toutes les tribunes qu’il veut injecter une bonne dose de «gros bon sens» dans les dossiers linguistiques. Quel message lancet-il au juste en reprenant à sa sauce cette notion chère à plusieurs politiciens de droite? L’Acadie Nouvelle a posé la question à deux politologues.
Le chef de l’Alliance a plaidé en faveur du «common sense» – qui se traduit par «gros bon sens» – à plusieurs reprises au cours des derniers mois. À chaque fois, c’était en lien avec l’un de ses dadas; les dossiers linguistiques.
Par exemple, dans sa plateforme électorale de son parti, il a proposé de mettre «fin à quarante ans de débat linguistique» en adoptant des politiques fondées «sur le gros bon sens, la logique et les réalités du Nouveau-Brunswick».
Plus concrètement, il a notamment suggéré d’effectuer le transport les élèves anglophones et francophones dans les mêmes autobus, de mettre la hache dans le Réseau de santé Vitalité, d’abolir le Commissariat aux langues officielles et d’assouplir les exigences en matière de bilinguisme lors de l’embauche des fonctionnaires et d’ambulanciers.
Kris Austin a aussi fait référence au «gros bon sens», pas plus tard que lundi lorsqu’il a participé à une annonce sur les services d’Ambulance NB en compagnie du premier ministre progressiste-conservateur, Blaine Higgs.
Il a alors affirmé que le droit des francophones et des anglophones d’être servis dans la langue de leur choix doit être respecté... mais qu’il ne faut «pas permettre à des exigences linguistiques inutiles de remplacer le gros bon sens ainsi que la santé et la sécurité de tous les Néo-Brunswickois».
En gros, chaque fois qu’il parle du «gros bon sens» dans les dossiers linguistiques, Kris Austin demande aux francophones de mettre de l’eau dans leur vin, de faire une croix sur certains de leurs acquis et parfois même de renoncer à leurs droits.
DES AIRS DES ANNÉES HARRIS EN ONTARIO
Lorsque l’on demande à Mario Levesque ce que lui inspire ce fameux «common sense» que vante Kris Austin, une image lui vient en tête. «Chaque fois que j’entends ça, je pense au gouvernement de Mike Harris, en Ontario. Quand il parlait de ‘‘common sense’’, c’était toujours pour couper les services et réduire la paperasserie», affirme ce politologue de l’Université Mount Allison, à Sackville.
En 1994, alors chef du Parti progressisteconservateur de l’Ontario, Mike Harris a lancé sa Révolution du gros bon sens (Common Sense Revolution), un programme qui proposait la réduction de l’État et la réduction des dépenses provinciales. Il a été porté au pouvoir l’année suivante et est demeuré premier ministre jusqu’en 2002.
Kris Austin n’a donc rien inventé en sortant la notion de «common sense» de son chapeau.
«C’est du recyclage. Ç’a été recyclé tellement souvent», affirme Mario Levesque.
L’histoire a d’ailleurs retenu que c’est dans le cadre de sa Révolution du gros bon sens que le gouvernement Harris s’est mis à dos la communauté franco-ontarienne en annonçant la fermeture du seul centre hospitalier universitaire francophone de la province, l’hôpital Montfort d’Ottawa, en 1997.
LA VISION POPULISTE DE KRIS AUSTIN
Le politologue Gabriel Arsenault, de l’Université de Moncton, rappelle pour sa part qu’il ne faut pas oublier que Kris Austin est à la tête du seul parti réellement populiste au Nouveau-Brunswick.
Ce «gros bon sens» dont il parle dans sa plateforme et dans ses discours cadre tout à fait avec son approche.
«Dans le populisme, il y a l’idée que la majorité – le “bon peuple” – est finalement innocente et moralement assez impeccable, que la faute est due à une minorité. Pour les gens plus de droite – de la tradition à laquelle appartient Kris Austin – cette petite minorité est surtout formée de fonctionnaires, de l’élite culturelle, de ces gens-là.
M. Arsenault précise que cette élite que Kris Austin veut tasser n’est pas composée de l’ensemble de la minorité francophone.
«Dans le populisme, il y a toujours le peuple qui n’est pas responsable des maux de la société et une petite minorité qui cause tous les problèmes. Pour lui, ce n’est même pas l’ensemble des francophones. C’est la petite élite acadienne, à Fredericton ou à Moncton, personnalisée par (le juriste acadien spécialiste des droits linguistiques) Michel Doucet.»
RALLIER LA MAJORITÉ SILENCIEUSE
Mario Levesque rappelle d’ailleurs que Kris Austin n’est pas le seul à se présenter ainsi comme le défenseur de la majorité silencieuse et à vanter les mérites du «gros bon sens».
«On voit ça chez (Blaine) Higgs, on voit ça chez (Kris) Austin, on voit ça chez Doug Ford en Ontario. Donald Trump fait la même chose. Ce qu’ils essaient de faire, c’est d’essayer d’aller chercher le vote de monsieur et madame Tout-le-Monde, affirme-t-il.
Dans le cas de Kris Austin, il présente des solutions simples à des problèmes complexes pour gagner la faveur d’une partie de l’électorat, quitte à marcher sur les pieds de la minorité en passant, explique-t-il.
«Quand on parle de la langue française, il dit qu’il veut changer les choses pour que ça fonctionne mieux au quotidien, mais en jetant les obligations constitutionnelles par la fenêtre parce que ce n’est que du red tape et que c’est trop compliqué.»
Ce choix de défendre des solutions simples et de rejeter les options plus complexes défendues par l’élite et la classe dirigeante s’inscrit tout à fait dans le populisme de l’Alliance des gens, selon Gabriel Arsenault.
«Lors d’un débat des chefs, Kris Austin avait dit “this is not rocket science”. C’est un peu l’idée que la politique ne doit pas être laissée aux experts ou que la politique, c’est super simple dans le fond, que l’on a pas besoin d’analyse, de réflexions sophistiquées. C’est l’idée que c’est le bon sens, que c’est simple: on doit enlever ça des experts, des juristes, des politologues.» ■