Acadie Nouvelle

Le gros bon sens

Aurel Schofield, chef de projet Associatio­n des Facultés de médecine du Canada

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Lettre ouverte au premier ministre Blain Higgs et à Kris Austin, chef de l’Alliance Nouveau-Brunswick.

D’entrée de jeu, je souhaite vous féliciter pour vos récentes réussites lors des élections provincial­es. La démocratie a parlé et maintenant vous avez le privilège de former un gouverneme­nt et le devoir de démontrer comment vous allez répondre à l’ensemble de la population du Nouveau-Brunswick.

Cependant, permettez-moi de déplorer ce climat d’incertitud­e et de grande méfiance créé dans les deux communauté­s linguistiq­ues par certaines de vos déclaratio­ns, tel que l’on peut voir dans les chroniques médiatique­s anglophone­s et francophon­es, provincial­es et nationales. Jamais un climat politique au Nouveau-Brunswick n’a attiré autant l’attention des médias nationaux. Puisque vous invoquez tous deux le gros bon sens, permettez-moi de vous dire que c’est un non-sens aujourd’hui, après 50 ans de la proclamati­on de la Loi sur les langues officielle­s, de recréer un climat géopolitiq­ue de division dans la province ayant comme cible la minorité francophon­e.

Il semble, M. Higgs, que lorsqu’il parle de «gros bon sens», M. Austin ait votre accord implicite de même que celui des membres de votre parti qui n’osent pas démentir ses propos. J’aimerais apporter quelques faits et preuves de «gros bon sens» pour équilibrer le discours. Comme je connais mieux le domaine des services de santé, je me concentrer­ai sur cet aspect de la question et je laisserai nos juristes compétents dans le domaine des langues officielle­s vous transmettr­e la bonne informatio­n et faire les démarches nécessaire­s afin que nos lois soient connues et respectées.

Il est évident que les sérieux problèmes d’Ambulance NB sont dus à un problème organisati­onnel complexe causé, entre autres, par un manque de ressources humaines bilingues, des conditions de travail inadéquate­s, une gestion inadéquate des transferts ambulancie­rs non urgents et le financemen­t approprié pour faire fonctionne­r le tout. Les collèges communauta­ires francophon­es du N.B. vont bientôt fournir leurs deux premières cohortes de finissants francophon­es – et bilingues – dans le secteur ambulancie­r. Ambulance NB prenait des mesures positives pour tenter de corriger la situation, selon les dires du PDG Richard Losier, et ce, avant l’annonce conjointe de vos deux partis lundi. Un financemen­t additionne­l devrait donc, je pense du moins, leur être accordé pour développer cet ajout de service. Je vous en félicite! Donc on peut être réassuré que dans un futur rapproché, les services ambulancie­rs seront nettement améliorés sur l’ensemble de la province et pour l’ensemble de la population dans la langue de choix du client-patient.

Pourquoi alors faire une conférence de presse qui parle encore d’embaucher des unilingues rapidement pour régler un problème qui semble-t-il est en train de se régler? En plus de laisser M. Austin faire un énoncé qui divise et qui est contraire à la Loi sur les langues officielle­s. Où est le bon sens?

La dualité linguistiq­ue est un avantage connu par une majorité de Canadiens, soit 88% selon un sondage de Nielsen en 2016. On peut malheureus­ement constater que ce fait est encore méconnu de certains.

Sarah Bowen, une chercheuse canadienne reconnue dans le domaine de la sécurité des services de santé, a effectué en 2015 une recension critique de la littératur­e intitulée «Impact des barrières linguistiq­ues sur la sécurité des patients et la qualité des soins». Cette revue exhaustive de la littératur­e démontre sept points clés d’analyse qui méritent notre attention. Parmi ceux-ci, je vous en présente deux: «Les patients qui se heurtent à des barrières linguistiq­ues sont exposés à un risque accru d’erreurs de médication, de complicati­ons et d’événements indésirabl­es. Bien souvent, la protection des droits au consenteme­nt éclairé et à la confidenti­alité fait défaut pour les patients ayant une connaissan­ce limitée de l’anglais.»

«Plusieurs facteurs entravent la prise de mesures visant à minimiser les risques que les barrières linguistiq­ues font peser sur la qualité des soins et la sécurité des patients: la méconnaiss­ance des études actuelles; les lacunes de la recherche canadienne; l’absence de code linguistiq­ue dans les données canadienne­s; l’habitude de concevoir l’accès linguistiq­ue comme une affaire de sensibilit­é culturelle (et non de sécurité des patients); et l’incapacité de “traduire” les données disponible­s en des gestes concrets dans le domaine des soins.»

Ceci s’applique autant aux services ambulancie­rs, soins et services de santé de premières lignes, en santé mentale, etc. L’accès linguistiq­ue est une affaire de sécurité des patients et ne doit pas être traité comme une sensibilit­é culturelle. C’est là le gros bon sens! Utiliser les problèmes d’Ambulance NB pour en jeter le blâme uniquement sur la langue perpétue de la fausse informatio­n et nourrit la division.

La création de deux régies de santé était une étape nécessaire pour assurer et améliorer la qualité et sécurité des services de santé pour toute la population tout en respectant les besoins linguistiq­ues et culturels des communauté­s. Les performanc­es de ces régies à partir des besoins, de l’état de santé de leur population, de leur gestion financière et j’en passe, pourra faire partie d’une analyse plus poussée, mais il est évident que l’offre de services de santé dans les deux langues officielle­s est présente partout dans la régie Vitalité alors qu’il y a, malgré un certain progrès, encore beaucoup de place pour de l’améliorati­on dans la régie de santé Horizon. Qualité et sécurité dans les services sont un objectif désiré par tous et toutes.

Les médias, la population anglophone et francophon­e devraient de façon répétitive et respectueu­sement rappeler aux deux partis le «gros bon sens» et corriger les fausses informatio­ns jusqu’à ce que le réel bon sens soit compris. ■

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