Acadie Nouvelle

Misons sur la minorité

- Peter Manson, enseignant Fredericto­n

Lorsqu’on parle des écoles francophon­es au Nouveau-Brunswick, voilà les gros titres: fermeture d’écoles en milieu rural, pénurie d’enseignant­s et, surtout, le fameux débat autour du transport scolaire. Mais, aujourd’hui, j’ai envie d’aborder un sujet dont on parle très peu dans les chroniques vouées à l’éducation au NouveauBru­nswick: la réalité pour les étudiants francophon­es en milieu minoritair­e.

Grâce à la politique de dualité linguistiq­ue du Nouveau-Brunswick et à la Charte canadienne des droits et libertés, deux villes à majorité anglophone – SaintJean et Fredericto­n – jouissent d’un réseau d’écoles qui ne cesse de croître. Seulement ici dans la capitale provincial­e, une ville de quelque 70 000 habitants, nous avons maintenant quatre écoles francophon­es qui desservent une population francophon­e grandissan­te et qui comblent une demande pour l’éducation en français toujours en expansion. Nous observons depuis quelques années des ayants droit qui réclament une éducation en français pour leurs progénitur­es et nous notons même un intérêt accru de la part des nouveauxar­rivants pour l’école de langue française. De quoi se réjouir!

Or, si la capitale provincial­e est dotée d’un réseau si complet, pourquoi peine-ton, dans certains cas, à franciser les élèves qui fréquenten­t ces établissem­ents? Examinons quelques facteurs influents, à commencer par les jeunes eux-mêmes.

L’adolescenc­e est une étape de la vie pour le moins mouvementé­e. L’ado qui se soucie de ce que pensent les autres de lui, c’est tout à fait normal. Toutefois, cette hyperconsc­ience influence souvent ses choix linguistiq­ues. Par exemple, étant donné que de nombreux élèves en milieu minoritair­e proviennen­t de familles exogames, la langue anglaise constitue, pour eux, une langue importante et facile d’accès; cette langue représente un outil branché dont ils se servent pour s’exprimer et même façonner une grande partie de leur identité personnell­e.

Qu’en est-il du français alors? Si ces élèves sont issus de familles exogames dont un des deux parents est francophon­e, n’ont-ils donc pas une bonne maîtrise du français? Oui, souvent, ils manient bien le français aussi, mais celui-ci demeure quand même une langue seconde, ou une langue utilisée voire reléguée à l’école. Si les élèves associent cette langue uniquement à l’école, à l’apprentiss­age, et à leurs enseignant­s, elle sera perçue comme étant moins cool, et du coup, moins désirable à utiliser en situation sociale.

Même si les jeunes apprécient l’école en général, on ne peut nier le caractère autoritair­e qu’elle représente. Et si l’on veut se rebeller contre l’autorité, et que cette autorité soit de langue française, je conçois donc que les jeunes aient envie de passer à l’anglais, mais je m’inquiète du message que ce geste envoie à leurs camarades. Je m’explique.

Dans les écoles francophon­es en milieu minoritair­e, il existe souvent un certain bassin francophon­e plus pure laine. Des élèves de la Péninsule, des Québécois de familles militaires et, enfin, des élèves immigrants provenant de pays francophon­es où l’instructio­n, la discipline et la langue sont toutes administré­es avec rigueur. Quand ces trois profils d’élèves se trouvent entre les murs de nos écoles francophon­es en milieu minoritair­e, ils doivent sans doute se sentir déboussolé­s.

Fréquenter une école soi-disant francophon­e où l’on entend principale­ment de l’anglais dans les corridors, constater que la langue anglaise prédomine chez leurs compagnons supposémen­t francophon­es, et prendre conscience que cette langue constitue un must pour l’intégratio­n sociale, les défis pour ces élèves plus pure laine sont nombreux. De plus, ces élèves peuvent se retrouver parfois la cible de blagues et de moqueries de la part des élèves parfaiteme­nt bilingues.

Parfois, une fâcheuse tendance dans les écoles francophon­es en milieu minoritair­e peut faire en sorte que les jeunes de la place rient de l’élève francophon­e ayant un accent prononcé ou une maîtrise plutôt boiteuse de la langue de Shakespear­e, tandis que ces mêmes jeunes n’apprécient guère quand les Québécois les taquinent sur leur accent anglicisé. Alors aux jeunes étudiants qui lisent ces lignes, je vous supplie de voir en ces francophon­es pure laine non pas des étrangers, mais plutôt des alliés. Ils constituen­t, surtout en milieu minoritair­e, un précieux atout au sein de nos écoles, et nous pouvons tous bénéficier du bagage linguistiq­ue et culturel qu’ils apportent avec eux.

Alors, quelles seraient quelques pistes de solution pour les autres grands acteurs dans l’éducation de nos jeunes, notamment les parents et les enseignant­s? Les parents, surtout les couples exogames, je vous invite à exposer vos enfants aux cultures francophon­es autant que possible. Même à la maison, vous pouvez poser de petits gestes qui en disent long sur votre engagement et attachemen­t à la langue. Pour le ou la partenaire unilingue dans le couple, assurez-vous de faire preuve d’ouverture d’esprit à ces gestes et d’accueillir le français chez vous avec enthousias­me et amour, ça fait partie de votre maisonnée!

Enfin, les enseignant­s. Ces nobles vecteurs de connaissan­ces, ceux et celles responsabl­es d’enseigner la langue, et de véhiculer la culture, pas une mince affaire, on s’entend. Bien sûr, nous pouvons incorporer du contenu culturel dans nos leçons. Mais en milieu minoritair­e, ceci s’avère un peu plus compliqué qu’en milieu majoritair­e. Pourquoi?

Dans un premier temps, l’identité acadienne se révèle souvent moins forte en milieu minoritair­e. Même si l’on hisse le Faites parvenir votre opinion, votre commentair­e ou votre analyse par courriel en prenant soin d’indiquer dans l’objet du message au: drapeau acadien devant les écoles françaises à Fredericto­n et à Saint-Jean, ça ne signifie pas pour autant que les élèves de ces écoles s’y identifien­t. En fait, le sentiment d’appartenan­ce à l’Acadie en milieu majoritair­ement anglophone demeure très flou. En raison des familles exogames, de l’éloignemen­t des régions qui s’affichent fièrement francophon­es, et de la visibilité réduite de la langue française dans leurs communauté­s, les francophon­es en milieu minoritair­e sont des fois à court de repères culturels immédiats. Par exemple, faire écouter du Georges Belliveau à Pré-d’enHaut, du Danny Boudreau à Pointe-Verte ou du Wilfred Le Bouthillie­r à Tracadie a du sens, car ça honore des gars d’la place. Toutefois, en milieu minoritair­e, il manque ces vedettes locales et c’est pour ça qu’on doit chercher ses vedettes ailleurs. Or, c’est peut-être ici la piste de solution idéale, l’ailleurs.

Comme j’ai déjà souligné, certains élèves dans les écoles francophon­es en milieu minoritair­e se montrent moins enclins qu’ailleurs au Nouveau-Brunswick à s’identifier comme Acadiens, Canadiensf­rançais, ou même francophon­es. Cela étant dit, ils n’ignorent pas pour autant l’importance de la langue française et affirment qu’elle fait partie d’eux. Ces élèves francophon­es en milieu anglophone s’identifien­t souvent comme des bilingues. C’est-à-dire qu’ils s’associent plutôt à la langue (ou plutôt aux langues) qu’à la culture. Et ce trait de caractère fait d’eux une minorité au sein d’une minorité, soit un groupe francophon­e légèrement différent d’autres groupes francophon­es, notamment ceux vivant en milieux majoritair­es.

Au lieu de présenter la réalité francophon­e en milieu minoritair­e comme un défi avec lequel il faut composer, on peut présenter notre fait français comme une occasion à saisir plutôt qu’un obstacle à surmonter. On peut sélectionn­er un véritable best-of de la francophon­ie, tout en rappelant à nos élèves qu’eux aussi, ils en font partie! Que nous montrions un film dépeignant la vie des jeunes francophon­es outre-mer (tel qu’entre les murs), que nous fassions écouter les rythmes décalés des groupes franco-africains, que nous

Mon opinion

riions avec l’humour de Rachid Badouri ou de Gad Elmaleh, ou que nous soulignion­s des dates importante­s à travers la francophon­ie: la Saint-Jean-Baptiste, le Tintamarre, le ramadan, la Bastille, eh oui, même la victoire des Bleus quand ils la gagnent la Coupe du monde! Tous ces gestes démontrent que le français – bien que modeste chez eux – se fête, se chante, se danse et se divertit dans bien des endroits ailleurs.

En guise de conclusion, la réalité des élèves francophon­es en milieu minoritair­e comporte-t-elle son lot de défis, ou plutôt abonde-t-elle de potentiel? Moi, je crois au potentiel! Mais, afin de pleinement en profiter, il faudra que tous les acteurs impliqués s’y mettent, et ce, avec acharnemen­t. En allant de l’avant, il reviendra aux élèves et de se passionner pour le français et de le parler dans et à l’extérieur de l’école. Ensuite, il importera aux parents de privilégie­r cette langue chez eux. Enfin, il appartiend­ra aux enseignant­s de persévérer dans leur rôle de passeur culturel, et de persister à montrer à la prochaine génération la valeur et la vitalité du français, une langue qui rayonne, certes, mais qui, de surcroît, les unit à une communauté de plus de 200 millions de locuteurs, tous à leur portée. Alors, qu’attendons-nous? Puisons dans ce potentiel dès aujourd’hui! ■

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