Acadie Nouvelle

LES 20 ANS D’UN MARIAGE FORCÉ

- pascal.raiche-nogue@acadienouv­elle.com @raichenogu­e Pascal Raiche-Nogue

Il y a 20 ans, le gouverneme­nt provincial a procédé à la fusion forcée des communauté­s de Verret, de Saint-Basile et de Saint-Jacques à la ville d’Edmundston. Que retient-on de cet événement marquant de l’histoire du Madawaska, deux décennies plus tard? L’Acadie Nouvelle est allée sur place poser la question à des protagonis­tes d’hier et d’aujourd’hui.

Notre tournée débute au coeur du centrevill­e d’Edmundston, à l’hôtel de ville. Le maire nous attend dans son bureau, situé dans un des coins de l’édifice de pierre.

Cyrille Simard nous accueille vêtu d’un complet et de bottes. Pas vraiment le choix, avec la bordée de neige qui est tombée dans le coin au cours de la nuit.

Était-ce une bonne idée? La fusion comme telle, pas la décision du gouverneme­nt provincial de l’imposer sans la faire valider lors d’un référendum.

«Sur la manière, c’est certain qu’on pourrait en parler longtemps. Sur le résultat, je dirais que oui», répond Cyrille Simard.

Ce mariage forcé de mai 1998 – qui n’était pas du tout souhaité par les élus municipaux et par une partie de la population de Verret, de Saint-Jacques et de Saint-Basile – a complèteme­nt transformé la gouvernanc­e municipale dans la région.

Dans la foulée de la fusion, un seul conseil municipal a été formé et les ressources ont été consolidée­s. Aujourd’hui, Edmundston compte près de 17 000 personnes. Elle a un seul service d’incendie, une seule force policière et un taux d’impôt foncier harmonisé.

«Quand on dit que le tout est plus que la somme des parties. Je pense que ça se démontre dans ce cas-là. C’est-à-dire que ç’a permis à Edmundston dans son ensemble d’atteindre un certain niveau de masse critique en termes de ressources», affirme Cyrille Simard.

Selon lui, la mise en commun des ressources financière­s a fait ses preuves.

«Ça donne une capacité plus grande de faire des choses dans des secteurs qui ne sont pas nécessaire­ment traditionn­ellement dévolus aux municipali­tés.»

Vu de l’extérieur, on voit qu’Edmundston sort des sentiers battus. Elle possède notamment un secrétaria­t à la jeunesse et un service de développem­ent des affaires.

La communauté a aussi sorti son épingle du jeu ces dernières années avec la constructi­on du Centre Jean-Daigle et du parc d’eau d’Edmundston (situé dans le secteur de SaintBasil­e).

On peut se demander si ces projets d’envergure auraient été possibles si la fusion de 1998 n’avait pas eu lieu.

«J’ai le sentiment que ç’aurait été un défi», répond le maire lorsqu’on lui demande ce qu’il en pense.

Cyrille Simard note que d’importants projets régionaux ont été menés à bon port avant la fusion, dont celui du Complexe sportif régional, construit en 1989.

«Je suis ambivalent à savoir si ça (le Centre Jean-Daigle) aurait pu être fait. Peut-être que oui, parce qu’on avait l’expérience du Complexe. C’était un gros projet. Mais les ressources sont de plus en plus rares. Ça, peut-être que ça aurait coincé un petit peu.»

Il reste que cette fusion n’est pas passée comme dans le beurre dans la région. Les élus des autres communauté­s ne voulaient rien savoir et craignaien­t notamment de voir les taxes foncières exploser et de perdre leur identité. (suite en page 3)

L’avenir leur a donné raison en ce qui a trait aux taxes. En 1996, le taux était pas mal plus élevé à Edmundston (1,35$ par 100$ d’évaluation) qu’à Saint-Basile (1,14$), à Verret (1,18$) et à Saint-Jacques (0,78$).

Les taux ont augmenté dans les divers secteurs après la fusion pour éventuelle­ment être harmonisés. Le taux est aujourd’hui de 1,63$ par 100$ d’évaluation partout à Edmundston.

Cyrille Simard reconnaît que la hausse a été assez salée, surtout dans le secteur SaintJacqu­es. Les résidents de ce secteur ont vu leur compte de taxes plus que doubler depuis 1996.

«C’était plus élevé à Edmundston, pour toutes sortes de raisons. Je pense que c’était pour de bonnes raisons. On le voit aujourd’hui – sans vouloir critiquer les élus de l’époque, ils ont sans doute fait leur travail le mieux possible – mais on découvre des choses aujourd’hui en termes de maintenanc­e préventive et de choses comme ça, qui n’ont pas été faites selon les règles de l’art, je dirais.»

Aujourd’hui, tout le monde contribue à la même hauteur et, selon Cyrille Simard, a droit aux mêmes services. Il s’agit d’un acquis non négligeabl­e, dit-il.

Il reste la question de la perte d’identité que craignaien­t bon nombre d’opposants à la fusion. Là-dessus, le maire d’Edmundston estime que les choses ont évolué.

Les gens d’Edmundston, surtout ceux qui ont vécu de près la fusion de 1998, ont gardé un certain attachemen­t à leur secteur, selon lui.

«C’est correct. Mais quand ils s’installent au Centre Jean-Daigle pour appuyer le Blizzard, ils sont tous du monde d’Edmundston.»

Il note d’ailleurs que les perception­s changent avec le temps, même si certains demeurent opposés à la fusion 20 ans plus tard.

L’arrivée d’une toute nouvelle génération de jeunes qui n’ont pas été témoins de la fusion a changé la donne, dit Cyrille Simard.

«Ça prend une génération pour que ça se place. (...) Je pense que les nouvelles génération­s ne voient plus ces disparités-là», dit-il.

Mine de rien, le temps file et nous avons rendez-vous ailleurs. Le maire d’Edmundston doit aussi doit filer vers le sud de la province pour y prendre l’avion. Ses bottes finiront par lui être utiles, puisqu’une nouvelle bordée de neige s’abattra sur la province ce soir-là.

«C’EST EXTRÊMEMEN­T CLAIR: LA RÉPONSE EST OUI»

Nous traversons la rue pour nous rendre au Café Lotus Bleu. C’est là que nous avons rendez-vous avec la conseillèr­e municipale Lise Ouellette.

Assise près d’une fenêtre qui donne sur le centre-ville, elle ne tourne pas autour du pot lorsqu’on lui demande si elle pense que la fusion de 1998 était une bonne idée.

«C’est extrêmemen­t clair: la réponse est oui», affirme l’élue, qui a notamment été directrice du campus d’Edmundston du CCNB et de l’Associatio­n francophon­e des municipali­tés du N.-B. au cours de sa longue carrière.

La gouvernanc­e municipale, c’est l’un de ses domaines d’expertise. Et elle ne fait pas prier pour sauter dans le vif du sujet.

«Il y a un lien très très direct – et c’est normal – entre les frais administra­tifs et la taille de la municipali­té», dit-elle.

Elle avance que les frais administra­tifs sont d’à peu près 15% à l’heure actuelle à Edmundston. Elle est convaincue qu’ils seraient beaucoup plus élevés si Verret, SaintBasil­e, Saint-Jacques et Edmundston n’avaient pas été fusionnés.

Lise Ouellette est aussi pas mal convaincue que certains projets d’envergure qui ont été réalisés ces dernières années n’auraient pas été possibles si Edmundston avait dû faire cavalière seule.

«On n’aurait pas eu le Centre Jean-Daigle sans cette capacité-là. On a investi 20 millions $ dans le barrage hydroélect­rique, pour la génération d’électricit­é. On n’aurait pas été capables de faire ça.»

Et puis il y a toute la question de l’administra­tion municipale. La gestion des actifs, la comptabili­té, est plus complexe qu’en 1998. Cela demande des expertises plus pointues, selon elle.

Sans rien vouloir enlever aux bénévoles qui se donnent coeur et âme dans les plus petites administra­tions municipale­s – des gens dont la contributi­on est «très importante» à ses yeux – les choses ont changé.

«La charge est devenue excessivem­ent lourde. Et les municipali­tés qui ne peuvent pas avoir de ressources plus pointues ne pourront pas y arriver. C’est aussi simple – et complexe – que ça.»

«IL Y A UNE COLLECTIVI­TÉ QUI EST ENCORE PLUS FORTE ACTUELLEME­NT»

Le troisième arrêt de notre tournée nous conduit dans un quartier situé à l’extrémité du secteur Edmundston, à une dizaine de minutes du centre-ville, chez Roland LeBel.

Si la fusion a eu lieu, c’est en partie grâce à cet ingénieur chimique de formation, qui a notamment été le premier directeur de l’École des sciences forestière­s du campus d’Edmundston de l’Université de Moncton.

C’est lui qui a présidé la Commission d’étude des administra­tions locales du Madawaska, créée par le gouverneme­nt McKenna. Dans son rapport, intitulé «Bâtir ensemble, c’est la force» et déposé en mai 1997, Roland LeBel a notamment recommandé la fusion de Verret, de Saint-Jacques, de Saint-Basile et d’Edmundston (mais pas des quatre autres communauté­s à l’étude, soit Saint-Hilaire, Rivière-Verte et deux districts de services locaux).

Il a aussi proposé de renommer cette nouvelle ville «Madawaska», une idée qui n’a pas été retenue.

Roland LeBel nous accueille chez-lui avec un grand sourire au visage. Il pète le feu et ne fait pas du tout ses 86 ans. Il est «à la retraite»... mais il faut le dire vite, puisqu’il a enseigné à la University of Maine à Fort Kent – de l’autre côté de la frontière – jusqu’à tout récemment.

Le travail qui a mené à la publicatio­n de ce rapport, il s’en souvient comme si c’était hier. L’idée de fusionner certaines communauté­s du Madawaska ne faisait vraiment pas l’unanimité à l’époque.

La grogne était la plus forte à SaintJacqu­es, raconte-t-il. «On devait avoir une réunion au palladium de Saint-Jacques et il y a un des conseiller­s municipaux qui est venu au bureau. Je ne dirai pas son nom. C’était un des conseiller­s, il était contre ça. Il dit “M. LeBel, là là, je ne peux pas garantir votre sécurité, là!” J’ai dit “écoute, s’il m’arrive de quoi, je te tiens responsabl­e, astu compris là?”»

Il n’a donc pas pris de chances et a appelé l’un de ses amis policiers, juste au cas où.

«J’ai téléphoné le grand Gustave, à GrandSault. Il mesurait comme six pieds huit. J’ai dit “Gustave, il va falloir que tu viennes au Palladium à soir”. Il a dit “je vais être là, mon chum!” Il était dans la galerie, en bas. Il m’a dit “t’as seulement à crier et je vais monter”», raconte-t-il en riant de bon coeur.

La réunion a été houleuse, comme prévu. Mais personne ne s’en est pris à lui.

Pendant les travaux de la Commission, en 1996 et en 1997, d’autres incidents pas mal moins drôles sont venus ponctuer sa vie privée, se rappelle-t-il.

Certains prenaient le dossier très au sérieux, au point de lui passer des coups de fil anonymes et menaçants.

«On a changé de numéro de téléphone. Ah oui... Je ne m’attendais pas à ce genre de choses là. Ce n’était pas des menaces contre ma vie, rien de même. On n’était pas aux États-Unis. Mais je ne me sentais pas en sécurité», raconte-t-il.

Vingt ans plus tard, Roland LeBel estime que la fusion a eu des impacts positifs, même si tout n’est pas parfait dans la région et qu’il reste encore du travail à faire.

«S’il n’y avait pas eu ce fusionneme­nt, qu’est-ce qui arriverait économique­ment? Moi, je suis convaincu qu’on ne pourrait pas trouver une meilleure solution économique que ce qu’on a actuelleme­nt. (...) Il y a une collectivi­té qui est encore plus forte actuelleme­nt.»

Il aurait cependant aimé que le gouverneme­nt provincial en fasse davantage pour faire le «service après-vente» de son rapport, par exemple.

Au final – puisqu’il reste après tout un scientifiq­ue de carrière – il se garde de tirer des conclusion­s au pif, sans avoir étudié des données. Ça, ce sera à quelqu’un d’autre de le faire.

«J’aimerais donc que quelqu’un prenne ça en main. Arriver et voir combien ç’a coûté tout ça. Tout ce qu’ils ont fait, les poteaux de téléphone, les trottoirs, le pavé, les systèmes d’eau et d’égouts; ç’a coûté quoi, ça? Ce sont les citoyens d’Edmundston, puis les citoyens de Saint-Jacques, puis de Verret qui ont payé pour tout ça. C’est pas juste les citoyens de Saint-Jacques. Si on leur avait donné ça dans les mains et qu’on leur avait dit “arrangez-vous”, je ne sais pas ce qu’ils auraient fait.»

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 ??  ?? Le Centre Jean-Daigle d’Edmundston, dont la constructi­on a coûté 21 millions $, a ouvert ses portes en 2017. - Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue
Le Centre Jean-Daigle d’Edmundston, dont la constructi­on a coûté 21 millions $, a ouvert ses portes en 2017. - Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue
 ??  ?? Le maire d’Edmundston, Cyrille Simard, devant l’hôtel de ville - Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue
Le maire d’Edmundston, Cyrille Simard, devant l’hôtel de ville - Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue
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Edmundston - Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue
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Le commissair­e qui a recommandé, en 1997, la fusion de quatre communauté­s du Madawaska, Roland LeBel. - Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue
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La conseillèr­e municipale Lise Ouellette. Acadie Nouvelle: Pascal Raiche-Nogue

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