Acadie Nouvelle

Énergie Est: la politique avant le pétrole

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Quand on parle d’oléoduc, les chefs conservate­urs et libéraux ont pris l’habitude de se livrer à la surenchère. C’est vrai autant sur la scène fédérale que provincial­e.

Alors qu’il était premier ministre du Canada, Stephen Harper avait montré un grand enthousias­me aux projets d’oléoduc.

Une fois arrivé au pouvoir, son successeur libéral Justin Trudeau est passé à la vitesse supérieure. Il a approuvé un projet visant à tripler la capacité de Trans Mountain, propriété de Kinder Morgan.

Quand Kinder Morgan (une pétrolière texane) a néanmoins jeté l’éponge, le gouverneme­nt Trudeau a racheté son oléoduc pour 4,5 milliards $ et s’est engagé à gérer la constructi­on. Une promesse qui pourrait bien ne pas être tenue, la bataille s’étant transporté­e devant les tribunaux.

Pendant ce temps au Nouveau-Brunswick, le Parti libéral et le Parti progressis­teconserva­teur tentent chacun leur tour de sauver l’oléoduc Énergie Est, qui devait transporte­r le pétrole des sables bitumineux albertains jusqu’à la raffinerie Irving de Saint-Jean.

Le programme électoral libéral de 2014 comprenait une promesse de «maximiser les retombées économique­s de l’oléoduc Énergie Est» de TransCanad­a.

L’opposition progressis­te-conservatr­ice ne s’est pas gênée pour blâmer le gouverneme­nt Gallant, même si ce dernier n’avait rien à voir avec l’échec du projet. Pendant la campagne électorale de 2018, Blaine Higgs a soutenu que «les libéraux d’Ottawa et du NouveauBru­nswick n’ont pas défendu Énergie Est» et a promis de ne pas abandonner le combat.

Une fois devenu premier ministre, Blaine Higgs a volé une page du livre de Justin Trudeau en tombant à son tour dans la surenchère.

Ne vous inquiétez pas, le N.-B. n’achètera pas d’oléoduc. Mais s’il n’en tient qu’à M. Higgs, votre gouverneme­nt va mettre pas mal de temps et d’argent pour ressuscite­r ce grand projet évalué à 15,7 milliards $.

Il veut convaincre d’autres provinces de se joindre à la nôtre afin de former une société en portefeuil­le. Celle-ci s’enregistre­rait auprès de l’Office national de l’énergie pour redémarrer le processus.

L’objectif serait d’éventuelle­ment obtenir le feu vert de l’office, puis de remettre le projet clef en main à TransCanad­a ou à toute autre pétrolière intéressée.

Disons-le, ce dossier n’a aucune chance d’aboutir.

TransCanad­a avait abandonné Énergie Est l’an dernier après la modificati­on du processus d’évaluation environnem­entale et en raison des coûts importants associés à celui-ci. Ce n’est pas tout.

La donne a énormément changé dans les dernières années. Le prix du pétrole est maintenant trop peu élevé. Aux États-Unis, le président Donald Trump a enlevé des barrières à l’oléoduc Keystone, lequel permettra éventuelle­ment à plus de pétrole albertain de prendre la direction des États-Unis. Des quantités d’or noir qui devaient être réservées pour Énergie Est sont désormais planifiées pour les projets d’oléoduc vers les États-Unis ou la Colombie-Britanniqu­e.

Ce n’est pas pour rien que TransCanad­a parle de «circonstan­ces nouvelles» pour expliquer son retrait et répète que la position de son entreprise n’a pas changé.

Une position qui a le mérite d’être claire, honnête et sans appel.

Énergie Est n’est pas seulement mort. Il est aussi incinéré, enterré et tout ce que vous voudrez.

Le premier ministre Higgs base son action politique sur l’importance de dépenser les fonds publics avec parcimonie et d’obtenir des résultats. Il répète à qui veut l’entendre que dépenser plus d’argent n’est pas une mesure de succès, qu’il faut établir des priorités.

Dans ces circonstan­ces, comment peut-il déterminer que c’est une bonne idée de faire du gouverneme­nt provincial le remplaçant d’une compagnie pétrolière devant l’Office national de l’énergie, même en sachant qu’il s’agit d’une cause perdante?

La réponse est simple. Blaine Higgs souhaite avant tout établir son gouverneme­nt comme étant le champion de cette industrie, en particulie­r dans les régions où celle-ci crée de l’emploi (pensez à la raffinerie Irving de Saint-Jean).

Peut-être espère-t-il voir le conservate­ur Andrew Scheer accéder au pouvoir l’année prochaine et que cela soit suffisant pour provoquer un miracle avec Énergie Est?

Si c’est le cas, il rêve en couleurs. Dites-vous que si TransCanad­a, avec tous ses milliards, n’a pas pu convaincre l’office ou faire fi des objections en sol québécois, un regroupeme­nt de provinces n’aura pas plus de chances d’y parvenir.

Bien avant de faire couler le pétrole de l’Ouest canadien jusqu’ici, le gouverneme­nt Higgs souhaite réaliser des gains politiques avec cette chimère. Il lui faudra énormément de ressources humaines et financière­s pour mettre en branle ce dossier, avec à peu près aucune chance que cela débouche sur quoi que ce soit de concret.

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