Les frissons de Jim Irving
Emma Haché Alain Deneault Petite-Rivière-de-l’île Les frissons de Jim Irving
M. Jim Irving, un peu de sérieux… Votre missive à L’Acadie nouvelle du 29 novembre: on ne va tout de même pas faire semblant d’être étonné de votre appréciation des actions du premier ministre Higgs. L’intéressé a fait carrière au sein de votre entreprise pendant des décennies. Il partage votre idéologie, maintenant il répond à vos besoins. Et s’il vous plaît, épargnez-nous cette rhétorique qui consiste à identifier les intérêts de notre collectivité aux vôtres. La constitution de votre richesse est controversée. Elle relève de privilèges accordés par l’institution publique, qui consolident une situation quasi monopolistique en bien des domaines, sans parler de vos inadmissibles détours comptables par les Bermudes. Vous finissez par occuper sur le territoire une position officieuse d’entreprise-État, raison qui explique qu’on trouve votre nom partout: arénas, bibliothèques, musées, centres de recherche, festivals… La population doit bien comprendre où se trouve le véritable pouvoir, et savoir à qui s’en remettre pour obtenir quoi que ce soit.
Ainsi, il faudrait encore vous suivre et croire en la prospérité, la vôtre, où, pour nous, il est question en permanence d’une dette qui justifie le sabotage des services publics. C’est donc ce qu’il faut comprendre sous l’appellation du «gros bon sens économique».
Sachez qu’on vous lit surtout pour vos omissions. Rien sur le manque à gagner de l’État pour cause d’évitement fiscal légalisé dans les paradis fiscaux. Rien dans votre «analyse» sur les coûts que représente l’adaptation aux changements climatiques et à la pollution industrielle observée massivement depuis un siècle. Comment le monde peut-il évoluer en considérant la pression sans cesse croissante qu’exerce sur les populations et les écosystèmes cette croissance économique exponentielle que vous défendez? N’estelle pas à l’origine de l’injustice sociale, de la perte de démocratie et de la destruction environnementale qui deviennent dramatiques?
Même une pauvre petite taxe carbone ne trouve pas grâce à vos yeux. Cette mesure vous paraît trop radicale, alors qu’elle est en réalité nettement insuffisante pour répondre aux défis climatiques, écologiques et sociaux qui nous font face. Une politique du XXIe siècle imposerait des restrictions directement à la source des productions pétrolières. De moins en moins de gens sont dupes. C’est la raison pour laquelle votre lettre les amuse. Ou les choque.
Au-delà du propos, quel bon vent vous amène? On n’a pas l’occasion de vous lire souvent. Un sentiment d’insécurité en serait-il à vous chatouiller? Le francophone du gouvernement ne parviendrait pas seul à colporter votre Bonne Nouvelle? Vous vous inquiétez d’un éveil de l’opinion? Est-ce que quelque chose, qui ne dit pas encore son nom, serait en train de prendre forme? Serait-ce que, du haut de votre perchoir, vous auriez senti que ce peuple pourrait tout à coup mesurer sa propre grandeur s’il s’en donnait la peine? Hum… Frissons…