Right cher pour être Right fiers
Ne tirez pas sur le messager! Comme beaucoup, j’ai été sidérée par les nouvelles concernant le projet des Jeux de la Francophonie à Moncton et Dieppe. Au-delà de l’étonnement, le gouvernement semble pour sa part quelque peu embêté, avec cette énorme bourde héritée de son prédécesseur.
Dans un premier temps, plutôt que de s’indigner, il faut saluer la franchise avec laquelle le chef de cabinet du premier ministre s’est exprimé sur la question. Ensuite, vu que rien n’avait été prévu au budget provincial par les libéraux, il est permis de se demander comment on serait parvenu à camoufler un tel excès de dépenses, dans le cas où ils auraient été reportés au pouvoir. Nous apprenons d’ailleurs que le gouvernement Gallant avait reçu en mars le même estimé, qu’il a refusé.
De 17 à 130 millions $: les chiffres présentés par l’organisation sont effarants. Une augmentation de 10, 15 ou même 25% de l’estimation initiale est quasiment normale par les temps qui courent et personne ne trouverait à s’en offusquer. Mais huit fois le budget? Quelqu’un quelque part est à blâmer pour cet état de choses et le conseil d’administration est en tête de liste. Mais le problème remonte littéralement au point de départ, avec le dépôt par la province d’une soumission beaucoup trop basse pour la tenue de ces Jeux. Donc au comité de candidature.
Bien sûr, on peut aussi nommer le premier ministre du temps, Brian Gallant, qui a certainement approuvé cette soumission du N.B. à l’Organisation internationale de la francophonie. De deux choses l’une: soit il s’est fait traîtreusement berner, soit il a sciemment donné son aval à une proposition totalement irréaliste, le seul but étant de remporter le concours, en espérant combler l’inévitable écart budgétaire au moment du bilan d’une manière ou d’une autre.
En fouinant un peu, on découvre que les derniers Jeux ont coûté environ 50 millions $, ce qui est quand même plutôt élevé, mais en rien comparable aux 130 millions $ qu’on nous annonce. On apprend aussi que la norme pour l’Organisation internationale de la Francophonie tourne autour des 15 à 20 millions $ quant au budget de base recherché dans les soumissions pour ces Jeux. Un minimum, si on veut. Il semble que le N.-B. ait déposé sa présentation avec un budget dans cette fourchette de prix, alors que la ville de Sherbrooke, autre soumissionnaire, avait avancé un chiffre plus proche des 50 millions $. Évidemment, le N.-B. a battu Sherbrooke.
Quelqu’un ici a voulu jouer au plus finaud et c’est nous, les contribuables du N.-B., la province pauvre du Canada, qui devrions en faire les frais? Et surtout c’est nous, la communauté acadienne, qui y risquons notre bonne réputation et notre crédibilité? Soyons clairs: le climat social ici n’est pas favorable à des excès d’une telle envergure. Quand des ténors de l’extrême anti-bilinguisme en dénoncent déjà les coûts, ce genre de dépense somptuaire est plutôt mal inspiré.
Il faut aussi considérer ce qui se passe en Ontario, avec les coupes budgétaires et autres mesquineries du gouvernement Ford à l’égard des francophones. Bien sûr, les Acadiens peuvent craindre un sort comparable, qui ne nous sera épargné que parce que nous représentons une masse critique de l’électorat. Mais pour citer le dicton: «Faut pas pousser mémé dans les orties». Ce n’est pas avec des histoires pareilles que les relations devraient s’embellir entre Acadiens et anti-francophones. Aux fins de comparaison, avec la donne actuelle, le Centre Avenir de Moncton coûterait moins cher que cet événement ponctuel unique au potentiel d’attraction limité, même si d’envergure internationale.
Au final, «dammed if you do, dammed if you don’t»: aller de l’avant avec une aussi grotesque proposition est très mal venu, en plus d’être au-delà de nos moyens. En même temps, se retirer et annuler revient à perdre complètement la face sur la scène internationale. Il faut donc continuer. Mais pour continuer, il faut revoir à la baisse, et de beaucoup, cette estimation qui arrive un bon 3 ans après la mise en route du projet. Déjà sur ce point, il y a de sérieuses questions à poser. Il faut savoir qui sont ces experts qui avisent les instances de l’organisation et à quelles conditions. Si ce budget de 130 millions $ n’est pas réaliste, il n’en reste pas moins que c’est celui qui a été soumis, et jamais corrigé, alors qu’on peut s’interroger sur les compétences, ou les intentions, des intéressés.
Sans vouloir faire de chasse aux sorcières, j’estime que nous avons été bien mal servis par ceux qui ont créé cette situation. Les Acadiens font figure ici de groupe irresponsable et arrogant. Le gouvernement est ainsi mis devant ce qui se voudrait être un fait accompli. La seule manière d’en sortir honorablement, pour la province comme pour l’Acadie du N.-B., est de reprendre contrôle sur ce qui peut être contrôlé et veiller de près sur le parcours, jusqu’à la ligne d’arrivée de ces Jeux de la Francophonie 2021.
Je n’ai aucun intérêt personnel, rien à protéger, aucune motivation d’intervenir sur cette question. Que ma fierté acadienne qui, ma foi, est pas mal amochée par ce qui se passe. ■