Mort en mer de 850 Acadiens en 1758: le 13 décembre, l’Acadie se souvient
Le mois de décembre 1758 marque l’épisode le plus meurtrier de l’histoire de l’Acadie. En trois jours, près de 850 Acadiens déportés sont morts en mer quand les navires britanniques où ils étaient prisonniers ont fait naufrage. Le jour du Souvenir acadien commémore chaque année, le 13 décembre, cet épisode tragique et les épreuves vécues par le peuple acadien durant le Grand Dérangement.
En 1758, Noël Doiron habitait la paroisse de Pointe-Prime à l’île Saint-Jean, aujourd’hui l’Île-du-Prince-Édouard.
Ce vieil homme et toute sa descendance qui comptait environ 120 personnes avaient fui la Nouvelle-Écosse quelques années auparavant, en abandonnant leurs terres pour échapper à leur déportation forcée par les soldats britanniques. À l’automne 1758, tous les Acadiens et Acadiennes de Pointe-Prime furent emprisonnés, puis embarqués de force à bord du navire Duke William.
Noël Doiron, ses enfants, ses petitsenfants et ses arrière-petits-enfants, ainsi que les quelque 240 passagers acadiens à bord ont tous péri en mer lorsque le Duke William a fait naufrage le 13 décembre 1758 au large des côtes de l’Angleterre.
Voilà pourquoi l’Acadie souligne chaque année le jour du Souvenir acadien le 13 décembre. Entre 1755 et 1762, pas moins de 11 400 Acadiens ont été arrachés de leurs terres et déportés un peu partout en Amérique et en Europe, victimes du conflit entre la France et l’Angleterre lors de la guerre de Sept Ans. Les historiens estiment qu’environ un tiers de ces Acadiens et Acadiennes n’ont pas survécu aux épreuves créées par leur déportation (naufrages, noyades, maladie, camps de prisonniers, etc.).
UNE COMMÉMORATION ANNUELLE
Stephen White, généalogiste au Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson de l’Université de Moncton, a proposé cette commémoration au début des années 2000, alors qu’il effectuait de patientes recherches pour établir la généalogie de familles acadiennes. Il fouillait des documents historiques relatifs à la déportation de 1758 à l’île Saint-Jean et à l’île royale (aujourd’hui le Cap-Breton) quand il a remarqué une particularité troublante.
Par exemple, dans un groupe de 52 enfants déportés en 1758, seuls quatre d’entre eux ont survécu à la traversée et à la difficile période de six mois après leur arrivée en Europe. Des recherches plus approfondies lui ont permis de découvrir que l’âge médian de la population acadienne à cette époque était de 14-15 ans. Il a donc proposé une occasion de commémorer solennellement ces victimes.
«Nous, les Acadiens, avons une célébration de notre survivance le 15 août et c’est vraiment une fête de la survivance. Mais si des gens ont survécu, ça veut dire qu’il y a des gens qui n’ont pas survécu. Je pense au jour du Souvenir acadien comme un contrepoids qui balance l’histoire un peu. Nous prenons un peu de temps au mois de décembre pour rappeler le Grand Dérangement», explique-t-il.
«Il y avait beaucoup de décès notés dans les documents et quand je reconstituais les familles, j’ai remarqué que cela affectait surtout des enfants. Ça m’a dérangé un peu de voir tant d’enfants», explique-t-il, encore tout ému.
CÉRÉMONIE ANNUELLE À L’ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD
Depuis le 250e anniversaire de la déportation du peuple acadien de l’Île SaintJean (aujourd’hui l’Île-du-Prince-Édouard) en 2008, une cérémonie du jour du Souvenir acadien se déroule chaque année au Lieu historique national de SkmaqnPort-la-Joye-Fort-Amherst. Du haut d’une colline qui surplombe les eaux du havre qui entoure la ville de Charlottetown, les Acadiens et Acadiennes commémorent leurs ancêtres forcés à quitter leurs terres, victimes civiles de la guerre de Sept Ans entre la France et l’Angleterre.
L’historien Georges Arsenault prépare chaque année des textes qui, présentés à haute voix, personnifient de façon poignante l’expérience vécue par des Acadiens et des Acadiennes lors du Grand Dérangement.
«Des fois, des adultes jouent le rôle, d’autres fois ce sont des jeunes qui lisent le texte à propos de gens de leur âge. Ils racontent ce qui leur est arrivé, comment était leur vie avant et après la Déportation. Beaucoup sont décédés et cela amène les jeunes à participer et à apprendre leur histoire», explique-t-il.
Des élèves d’écoles francophones environnantes sont conviés à la commémoration qui comprend également une procession sobre jusqu’au Monument de l’Odyssée acadienne pour y déposer une couronne. Un moment de silence dans la grisaille et le froid de décembre entrouvre une fenêtre sur ce qu’ont vécu leurs ancêtres.
«La Déportation est un épisode déterminant de notre histoire. Si elle n’avait pas eu lieu, je pense que la communauté acadienne serait tout à fait différente de ce qu’elle est aujourd’hui», conclut Georges Arsenault. ■