Sauver les Jeux
Le 7 avril 2016 a été un moment de grande fierté pour le Nouveau-Brunswick et l’Acadie.
Ce jour-là, la région de Moncton-Dieppe a été retenue en tant qu’hôtesse des Jeux de la Francophonie de 2021.
Éric Larocque, alors membre du comité de candidature et aujourd’hui directeur général du comité organisateur, avait raconté dans nos pages comment une fonctionnaire du ministère du Tourisme, du Patrimoine et de la Culture était sortie de la salle des juges avec les larmes aux yeux, après avoir appris que le Nouveau-Brunswick avait gagné son pari.
L’émotion s’était propagée aux autres membres de l’équipe, y compris M. Larocque: «J’ai éclaté en sanglots», avait-il témoigné.
Vingt mois plus tard, les larmes de bonheur ont laissé place à la colère. Le coût initial proposé était de 15 millions $. La facture a depuis explosé pour atteindre environ 130 millions $. Les Jeux coûteront huit fois plus cher que prévu.
Le comité organisateur n’a jamais vu venir la tempête. Il a même d’abord refusé de se justifier. Face à une controverse majeure qui menace l’organisation des Jeux et qui risque de soulever de nouvelles divisions linguistiques dans la province, les dirigeants préféraient se terrer dans le silence.
C’était irresponsable.
La moindre des choses quand on réclame 130 millions $ en fonds publics et en revenus de commandites et qu’on préside à un tel fiasco, c’est encore d’avoir le courage de s’expliquer publiquement et de préciser quelles sont les raisons qui expliquent cette spirale inflationniste. Surtout dans une province où toutes les excuses sont bonnes pour casser du sucre sur la minorité francophone.
Le comité s’est finalement mis en mode gestion de crise, lundi, et a rencontré la presse pour répondre aux questions.
Il est particulièrement stupéfiant de constater que les dirigeants ne semblent pas avoir beaucoup réfléchi à comment ils pourraient réduire l’ampleur de la facture. Ils ont été incapables de produire une réponse claire à savoir s’il est possible d’organiser des Jeux à 25 millions $.
La contrition ne faisait pas non plus partie de leur discours. Ils estiment avoir bien fait leur travail et blâment le gouvernement Gallant pour avoir laissé miroiter une estimation initiale trop basse.
Le président du comité organisateur et bénévole de la première heure, Éric Mathieu Doucet, a soutenu que 130 millions $ représentent la somme nécessaire pour avoir «de bons Jeux» et qu’un budget plus élevé permet d’avoir de plus grandes retombées. Il a évoqué que des Jeux à moindres coûts signifient «moins de legs pour nos communautés».
On veut bien. Sauf que nous n’en sommes pas là. Il n’a jamais été question d’utiliser cet événement pour financer toutes les demandes des municipalités ou des institutions qui souhaitent remettre à neuf un terrain de tennis ou une piste de course. Au contraire, la candidature de Moncton-Dieppe nous a été vendue sur la base que la région dispose déjà de toutes les infrastructures pour accueillir les athlètes et les compétitions.
Tout laisse croire que le comité a été incapable de faire des choix, qu’il n’a pas su dire non aux demandes de financement qui ont afflué.
Il faut trouver en priorité des solutions pour organiser l’événement à un coût abordable pour les contribuables.
La bonne nouvelle est que le gouvernement fédéral a pris les choses en main. Il a embauché un expert indépendant afin d’évaluer le plan d’affaires du comité organisateur. Bref, il a fait le travail qui aurait dû être déjà accompli. Ses conclusions n’ont pas encore été rendues publiques.
Les Villes de Moncton et de Dieppe ont accepté de verser un total de 1,5 million $. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick s’est engagé à injecter un maximum de 10 millions $. Le fédéral est prêt à éponger la moitié de la facture. En se basant sur les sommes promises par les autres paliers de gouvernement, cela équivaut à quelque 11,5 millions $, un peu plus si les commandites du secteur privé sont au rendez-vous.
Cela nous amène à un budget d’un peu moins de 25 millions $. Si c’est impossible d’organiser des Jeux dans le Sud-Est avec une telle somme, qu’on nous le dise. Pas dans un communiqué de presse plein de généralités, mais en conférence de presse, avec un rapport, des chiffres et du concret.
Il faudra aussi faire la démonstration que chaque pierre a été retournée avant d’en arriver à une telle conclusion. Ces Jeux de la Francophonie sont trop importants pour le Nouveau-Brunswick pour qu’on les laisse bêtement tomber.
Ils auront un impact majeur sur la jeunesse acadienne. Ils seront une nouvelle preuve que le bilinguisme officiel est bénéfique pour notre province et que les Acadiens sont capables de grandes choses dans un contexte minoritaire francophone.
À condition, bien sûr, de repartir à zéro et de présenter un budget raisonnable et responsable. L’abcès est crevé. Il n’est pas trop tard pour réussir.