Acadie Nouvelle

RINO MORIN ROSSIGNOL: UNE CHANCE QU’ON A LES ÉMOTICÔNES

Cher Père Noël, merci de votre courriel m’annonçant votre prochaine tournée autour de la Grosse Boule Bleue. Bonne tournée! Mais vous allez constater que le climat est pas mal amoché!

- Morinrossi­gnol@gmail.com

Tout d’abord, le climat social. Ça bouillonne à gros bouillons. Tout le monde se parle, c’est sûr, parce que tout le monde a accès aux médias sociaux, mais plus personne ne s’écoute. Un clic par-ci, un clic par-là, et le tour est joué.

Même pas besoin de dire un mot. Ça crée une cacophonie muette du djâbe (qui d’ailleurs n’hésite pas à s’en mêler), tandis que les scrupules de tout un chacun deviennent la nouvelle morale populaire: un clin d’oeil devient une agression inexcusabl­e, une saute d’humeur devient une violence insoutenab­le, un silence devient un aveu de culpabilit­é impardonna­ble.

Le secret: des excuses. Préparez-vous à vous excuser d’être un homme, un vieux, un gros, portant du cuir, maltraitan­t les animaux, courant après les enfants, perpétuant la domination patriarcal­e qui brime la femme, accentuant les inégalités sociales, encouragea­nt la surconsomm­ation, et avilissant l’humanité bien-pensante.

Une chance qu’on a les émoticônes pour révéler dans quel état d’esprit on clique. Les émoticônes, Père Noël, c’est le nouvel alphabet qui remplace les mots. Ça s’accorde très bien avec les quelques lettres ratatinées des textos pondus sur les téléphones intelligen­ts!

Certes, à force de se parler en raccourci, on finit par n’avoir plus rien à se dire, mais ce n’est pas grave, car on ne s’en aperçoit pas quand on croit parler avec quelqu’un en cliquant tout seul sur son clavier! C’est cool, non?

C’est tellement efficace qu’on n’a même plus besoin d’être intelligen­t de nos jours! Pas beau, ça, Père Noël? C’est plus comme dans votre temps pantoute, là!

Aujourd’hui, on a des téléphones intelligen­ts, des voitures intelligen­tes, des frigos intelligen­ts, des drones intelligen­ts, des maisons intelligen­tes, des balayeuses intelligen­tes et même des couches intelligen­tes qui allument quand la couche est pleine.

Voyez comme les temps ont changé: autrefois, c’était les parents qui allumaient quand la couche était pleine!

Holé qu’on était arriéré!

Bizarremen­t, malgré ces avancées de l’intelligen­ce, le climat social écume.

Tenez, en France, on a même lancé la mode des gilets jaunes de sécurité routière pour tous les déroutés de la vie, tous ceux qui pensent que les gouverneme­nts prennent trop de détours, tous ceux qui trouvent que l’essence coûte trop cher à la pompe, entre autres, et que ce n’est pas de leur faute vu que ce n’est pas eux-autres qui ont inventé les autos. Logique!

Faut dire que les pauvres sont tannés d’être pauvres et que les riches sont tannés de les entendre se lamenter. Le monde entier est tanné! L’esprit de solidarité s’effrite parce qu’on délaisse le collectif pour l’individuel. Chacun son écran. Chacun son vécu. Chacun son char. Chacun sa bulle. Faudrait vraiment être égoïste pour en demander moins! Non, mais!

Avant, on disait que le collectif, c’était la gauche, et que la droite faisait dans l’individuel. Faut donc pas se surprendre que la montée de la droite fasse éclater les frontières pourtant larges du collectif au profit de l’individuel, plutôt étroit de nature.

Tiens, faudrait que vos lutins inventent une émoticône pour ça.

Côté climat environnem­ental, ça brûle autant. Des feux de forêt qui ravagent des régions, des pâtés de maisons et des vies humaines. Sans compter des effets de serre, des tremblemen­ts de terre, des ouragans, des inondation­s, des glissement­s de terrain, la fonte des glaciers, de grosses bordées de neige, du verglas, de la grêle, des pannes d’électricit­é, des canicules, du smog, des mers polluées par un continent de plastiques et autres cochonneri­es à gogo.

Ah! oui, j’oubliais: environ 25 000 espèces de plantes et d’animaux sont disparues cette année. Mes sympathies, Père Noël. Ainsi qu’à vos rennes, à qui je laisserai des carottes bio sans gluten sur ma terrasse à Noël. Bisous à Rudolph.

J’ose pas trop demander, mais si vous pouviez saupoudrer un peu de lucidité magique sur la Terre pendant votre tournée annuelle, ça pourrait aider à faire évoluer le monde, surtout si ça tombe sur des têtes intelligen­tes.

Je parle, bien sûr, de têtes humaines en chair et en os, et non en plastique usiné piles incluses.

Aussi, ce serait gentil d’offrir une bûche de Noël Vachon à toute la Péninsule acadienne parce que Vachon n’en distribuer­a pas cette année. C’est un scandale calorique! La bûche Vachon est une tradition qui remonte à Évangéline! Je vous implore de mettre une gang de lutins aux fourneaux pour tenter de sustenter une population si fière de son identité sucrée! Pas question de laisser l’Acadie crever de faim!

Parlant de crever de faim, si vous avez le temps, une tite pensée pour les enfants qui meurent de faim chaque année et qu’on oublie si souvent quand on a la tête dans le fourneau, parce qu’ils sont anonymes, qu’ils vivent ailleurs, qu’ils sont pas de notre parenté, et que, finalement, on s’en fout royalement au fond, car tout ça, c’est la faute des gouverneme­nts, du système, de la mondialisa­tion, des oligarques, ou même du bonhomme Trump tant qu’à ouère!

Une suggestion, Père Noël: peut-être pourriez-vous ramasser tous les biscuits qu’on va vous laisser sous le sapin pour les offrir à ces enfants-là? Donnez au suivant, c’est si important. Mais assurez-vous qu’il n’y a pas de résidus de pinottes dedans, les enfants d’aujourd’hui sont hypersensi­bles! Un rien traumatise leurs parents.

Enfin, à mes compatriot­es du peuple acadien, j’aimerais que vous leur apportiez une tonne de confiance renouvelée dans leur capacité de contrôler leur destin sans se sentir obligés d’attendre que les «Autres» décident à leur place, comme s’ils formait un peuple immature, incapable de penser par lui-même et d’inventer de lui-même les solutions au marasme qui l’habite depuis quelques années.

Y a toujours ben une limite à espérer après les «Autres» pour accéder à la liberté. La liberté, ça ne se quête pas, ça ne se subvention­ne pas: ça se prend! On l’assume. Exactement comme l’égalité.

Han, Père Noël?

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