Acadie Nouvelle

Des silences assourdiss­ants

- Réjean Paulin Francopres­se

Le R 1er. C’est son nom de scène. Il s’appelle Christian Hermes Djohousso. Originaire du Bénin, il est arrivé au Canada à l’âge de 16 ans. Dix-sept ans plus tard, il se sent résolument Franco-Ontarien. Il était au grand rassemblem­ent du 1er décembre pour protester contre l’affront du gouverneme­nt de Doug Ford.

Au rythme de sa musique, des drapeaux fransaskoi­s dansaient dans la vague verte et blanche de celui des Franco-Ontariens.

Ce jour-là, on suivait ce qui se passait ailleurs au pays. De l’Acadie au Yukon, des francophon­es sont descendus dans la rue pour unir leur voix à celles qui retentissa­ient en Ontario. On y scandait des slogans à Ottawa, Casselman, Hearst, London, Toronto, North Bay, Sudbury et ailleurs…

Sous le grand chapiteau monté pour l’occasion à Ottawa, on a entendu Mona Fortier, députée libérale fédérale d’Ottawa-Vanier, Mélanie Joly, ministre fédérale de Patrimoine canadien, et Matthieu Lacombe, ministre québécois de la Famille. «Nous sommes, nous serons! Nous sommes, nous serons!»

En Alberta, la première ministre néodémocra­te, Rachel Notley, s’est alliée au mouvement franco-ontarien. Le quotidien Ottawa Citizen a surpris tout le monde en dénonçant le programme de Doug Ford dans un éditorial traduit en français. La nouvelle s’est même répandue jusqu’à L’humeur de Linda à TV5 Monde. «Vivre en français au Canada, c’est un combat», a dit sans ambages la chroniqueu­se Linda Giguère.

DES ABSENCES QUI EN DISENT LONG

Voilà donc la francophon­ie ontarienne telle qu’elle s’est révélée en ce samedi pas comme les autres: un mouvement de grande envergure nourri de multiples cultures, avec des appuis chez les anglophone­s, qui a des échos partout au Canada et ailleurs dans le monde, et qui mobilise la classe politique québécoise et canadienne. Quant à Doug Ford, il a réduit le phénomène à une statistiqu­e. Les francophon­es ne représente­nt que 3% de la population ontarienne, a-t-il dit.

De plus, il boude l’Organisati­on internatio­nale de la francophon­ie. En 2016, l’Ontario célébrait son accession au poste d’observateu­r au sein de l’OIF. Qu’à cela ne tienne, le premier ministre est resté à Queen’s Park pendant que les pays membres de l’OIF se rencontrai­ent au Sommet d’Erevan en septembre.

Trop cher, a présenté comme excuse la ministre des Affaires francophon­es, Caroline Mulroney. Franchemen­t! Quel pays au monde n’a pas les moyens de payer une traversée de l’Atlantique avec repas et chambre d’hôtel pour sa délégation?

C’est le même prétexte qui sert à justifier les autres compressio­ns.

Pourtant, l’Ontario n’est pas en mauvaise posture économique. Son PIB croît plus vite que celui du Canada et de tous les pays membres du G7 depuis 2014. Elle devance la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, les États-Unis et le Japon à ce chapitre. De plus, elle dépasse son objectif de réduction du déficit pour la neuvième année de suite.

Dans ce contexte, l’excuse budgétaire n’est guère crédible. On pourrait peutêtre y croire, mais il y a autre chose. À preuve, voici ce qui est arrivé à l’ex-député conservatr­ice, Amanda Simard.

Incapable d’accepter les politiques de son gouverneme­nt, elle a quitté le parti. Elle a tenté par la suite de prendre la parole en chambre à ce sujet. La procédure veut qu’il y ait assentimen­t unanime de l’assemblée pour ce faire. Les conservate­urs ont refusé.

Le jour de la manifestat­ion, pas un mot de Caroline Mulroney, la ministre des Affaires francophon­es. Que peut-on déduire de son pouvoir au sein du cabinet? Poser la question, c’est y répondre.

Le gouverneme­nt Ford prétexte l’excuse économique, mais les gestes expriment autre chose. Souvent, l’intention véritable est ailleurs que dans les mots et les chiffres. Elle est dans le silence, celui observé par la ministre et imposé à la députée Amanda Simard. Ici, l’intention est politique. ■

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Caroline Mulroney

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