Acadie Nouvelle

Doit-on permettre à Huawei de s’impliquer dans le 5G canadien?

- Jim Bronskill

Autoriser la société chinoise Huawei Technologi­es à contribuer à la constructi­on des réseaux sans fil 5G du Canada pourrait donner à Pékin un accès détourné à des informatio­ns sensibles concernant les Canadiens, préviennen­t des analystes de la sécurité.

Mais au moins un expert du renseignem­ent est sceptique de voir le gouverneme­nt chinois risquer de compromett­re la réputation internatio­nale d’une de ses étoiles corporativ­es en l’obligeant à transmettr­e de telles informatio­ns.

Alors que le gouverneme­nt fédéral envisage la participat­ion possible de Huawei à la prochaine génération du système de télécommun­ications, la question ultime est de savoir quelle importance le Canada accordera à la crainte d’une collecte de données inappropri­ée - voire d’un espionnage en bonne et due forme.

La question préoccupe depuis bien avant que le Canada, à la demande des États-Unis, n’arrête Meng Wanzhou, la directrice financière de Huawei, à Vancouver, et elle sera toujours là bien après le règlement du dossier de Mme Meng.

Précisons tout de suite que Huawei assure qu’elle n’est pas une entreprise contrôlée par l’État et qu’elle ne facilitera­it jamais la collecte de renseignem­ents pour le compte de la Chine ou de tout autre pays.

Cependant, la loi sur le renseignem­ent national en Chine stipule clairement que les organisati­ons et les citoyens chinois doivent soutenir, aider et coopérer dans le travail de renseignem­ent de l’État, suscitant des préoccupat­ions en matière de sécurité nationale au Canada.

Certains produits Huawei font déjà partie des réseaux de quatrième génération que des millions de Canadiens utilisent pour accéder à internet sans fil. Le développem­ent d’un réseau de télécommun­ication de cinquième génération (5G) permettra des connexions internet beaucoup plus rapides et une vaste capacité de transmissi­on de données pour répondre à la demande croissante de pouvoir faire toujours plus dans le cyberespac­e.

Des entreprise­s privées telles que BCE et Telus s’occuperont de la constructi­on, mais le gouverneme­nt fédéral pourrait leur interdire d’utiliser certains produits pour le faire.

La participat­ion éventuelle de la société chinoise à l’infrastruc­ture 5G du Canada n’impliquera­it pas que des antennes et des câbles, mais aussi des logiciels nécessitan­t une maintenanc­e et des mises à niveau.

«Nous sommes potentiell­ement mariés à jamais parce que nous allons compter sur leur soutien – c’est leur produit», a prévenu Daniel Tobok, le directeur général de Cytelligen­ce, un expert en criminalis­tique numérique dont la société enquête sur les incidents de cybersécur­ité.

Les experts en sécurité disent que le rôle de Huawei pourrait lui donner accès à un large éventail de données tirées de la manière, du moment et du lieu dont les clients canadiens utilisent leurs appareils électroniq­ues. Ce sont des informatio­ns que les agences gouverneme­ntales trouveraie­nt très attrayante­s.

«Cela peut être utilisé pour plusieurs choses, pour manipuler les entreprise­s ou pour exploiter la propriété intellectu­elle, a précisé M. Tobok. Sur le plan de la sécurité nationale, ils peuvent savoir qui est où à tout moment. Ils peuvent en faire un levier pour se lancer dans d’autres opérations du gouverneme­nt. Ils peuvent influencer les élections. Tout est une donnée aujourd’hui, littéralem­ent. C’est pourquoi c’est si dangereux.»

D’anciens responsabl­es canadiens de la sécurité et deux membres du Comité spécial du renseignem­ent du Sénat américain ont averti que la participat­ion de Huawei pourrait compromett­re la sécurité du Canada et de ses plus proches alliés.

Trois des partenaire­s canadiens du groupe de partage du renseignem­ent Five Eyes – les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande – ont interdit l’utilisatio­n des produits Huawei dans le développem­ent du réseau 5G de leur pays.

Ottawa procède actuelleme­nt à un examen approfondi de la participat­ion potentiell­e de Huawei, ce qui devrait inclure un examen stratégiqu­e plus large de la façon dont le Canada devrait naviguer dans une économie de plus en plus mondialisé­e.

Cela va au coeur d’un conflit culturel au sein du gouverneme­nt entre les partisans d’avantages économique­s et ceux qui se méfient des compromis en matière de sécurité nationale, a dit Wesley Wark, un spécialist­e de la sécurité et du renseignem­ent à l’Université d’Ottawa.

«Ils doivent trouver un moyen de rassembler ces voix, at-il déclaré. Je pense que c’est très difficile.»

UN PROBLÈME POTENTIEL

Phil Gurski, un ancien analyste du Service canadien du renseignem­ent de sécurité qui est maintenant un consultant privé, croit que les inquiétude­s concernant une influence potentiell­e de Pékin sont «un problème potentiel plus qu’un problème concret».

Mais il y a des raisons valables de remettre en cause la pertinence de permettre à une société basée en Chine – une nation aux intérêts «diamétrale­ment opposés» à ceux du Canada – de jouer un rôle important dans le développem­ent d’un élément clé de la future infrastruc­ture du pays, a-t-il ajouté.

«La Chine n’est pas une démocratie responsabl­e avec des freins et contrepoid­s comme celle que nous avons ici en Occident, et si les Chinois veulent tirer parti de la capacité de Huawei de colliger des données sur les Canadiens ou autre, ils pourraient certaineme­nt dire à Huawei de le faire, a lancé M. Gurski. Je ne suis pas sûr que Huawei aurait d’autre choix que de se conformer à cet ordre.» ■

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