ÉDITORIAL: UN PARI RISQUÉ POUR BLAINE HIGGS ET LE N.-B.
Le premier ministre Blaine Higgs s’est dit déçu de sa rencontre avec son homologue fédéral Justin Trudeau, mardi. Le contraire aurait été surprenant. M. Higgs s’est présenté dans la capitale nationale comme s’il était en territoire ennemi. Les chances qu’un traité soit conclu entre les deux belligérants étaient nulles.
Ce premier face-à-face entre Justin Trudeau et Blaine Higgs était important, dans le sens qu’il devait nous permettre de constater s’il y a une volonté de la part du premier ministre Higgs de réparer des pots cassés ou s’il préfère poursuivre ce qui est, à défaut de meilleure explication, une politique de confrontation. Nous n’avons pas tardé à être fixés. Blaine Higgs avait mis la table tout juste avant la rencontre, en annonçant que Justin Trudeau et lui n’allaient pas s’échanger de cartes de la Saint-Valentin. Il est sorti de la réunion en affirmant que son vis-à-vis ne se bat pas suffisamment fort pour les entreprises néo-brunswickoises victimes du conflit du bois d’oeuvre avec les États-Unis.
En prime, il a laissé entendre qu’il pourrait faire campagne contre les libéraux fédéraux cet automne si rien ne bouge sur les questions touchant le Nouveau-Brunswick.
Notons que cette situation n’est pas exceptionnelle. Les libéraux aiment bien rappeler à quel point Brian Gallant et M. Trudeau étaient de proches collaborateurs. Mais la relation de M. Gallant avec le gouvernement conservateur précédent était pas mal plus froide. Des députés et des ministres fédéraux néo-brunswickois, avec en tête Bernard Valcourt, ne se gênaient pas pour critiquer publiquement le travail de leurs homologues provinciaux.
Il arrive même parfois que les relations ne soient pas au beau fixe entre deux gouvernements de la même grande famille politique. De 2010 à 2014, l’administration Harper se faisait un devoir de superbement ignorer les demandes du premier ministre néo-brunswickois David Alward, pourtant un progressisteconservateur.
Nous avons toutefois rarement vu un parti politique au pouvoir au Nouveau-Brunswick attaquer avec autant d’acharnement le grand frère fédéral.
Le tout a débuté avec la décision unilatérale de mettre fin à une partie de l’élargissement de la route 11. Ottawa est un partenaire financier important dans ce dossier.
Or, si on en croit le ministre Dominic LeBlanc, le gouvernement Higgs n’a pas eu la politesse élémentaire de le contacter avant pour lui annoncer la nouvelle. Les fédéraux l’ont appris en même temps que tout le monde, lors du dépôt du budget des infrastructures. En ce qui a trait aux relations intergouvernementales, il s’agissait de l’équivalent d’un doigt d’honneur.
Nous vous faisons grâce de toute la saga des Jeux de la Francophonie 2021, pendant laquelle Fredericton a consacré plus d’efforts à servir des ultimatums et des blâmes qu’à chercher de bonne foi une solution.
Le premier ministre Higgs a poursuivi dans la même veine pendant son discours sur l’état de la province, en accusant le gouvernement Trudeau de préférer participer à des coupes de ruban plutôt qu’appuyer les priorités du Nouveau-Brunswick.
Dans ce même discours, M. Higgs a encore une fois dénoncé ce qu’il surnomme «la taxe sur le carbone qui tue des emplois», sans offrir la moindre statistique qui démontrerait la véracité de cette affirmation.
L’une des premières décisions de M. Higgs a été de contester devant les tribunaux la tarification du carbone.
C’est une chose de s’opposer à une politique fédérale. M. Higgs n’est pas le premier ni le dernier à le faire. Mais en lançant une poursuite judiciaire qui a très peu de chance d’être remportée, il s’assure d’envoyer un message politique très fort à Ottawa.
Bref, on sent chez Blaine Higgs une volonté de combattre le gouvernement Trudeau, pas d’en faire un partenaire.
C’est son droit d’agir ainsi. Après tout, les bonnes relations entre Brian Gallant et Justin Trudeau n’ont pas empêché Ottawa de rejeter le plan de tarification du carbone du Nouveau-Brunswick. Il n’y a rien de mal à tenter une nouvelle stratégie.
Néanmoins, en traitant son homologue fédéral comme un vulgaire adversaire politique, comment M. Higgs peut-il espérer le convaincre de collaborer avec lui?
Justin Trudeau a d’ailleurs rejeté la demande de la délégation néo-brunswickoise de suspendre l’entrée en vigueur de la taxe sur le carbone et ne l’a pas rassurée sur la question du bois d’oeuvre, ni sur les autres sujets à l’ordre du jour.
Il est possible que Blaine Higgs ne cherche pas à négocier de grandes avancées avec les libéraux. Il pourrait s’agir d’une stratégie pour réaliser des gains électoraux sur la scène provinciale ou pour favoriser l’élection cet automne d’un gouvernement fédéral conservateur dirigé par Andrew Scheer.
Le pari est cependant risqué. Le NouveauBrunswick ne peut sortir gagnant en coupant les liens avec son principal partenaire, peu importe les couleurs politiques en cause.