Acadie Nouvelle

Le problème du recrutemen­t de médecins en région

- Daniel Beaudry Moncton

Je veux réagir à l’éditorial de François Gravel du 15 janvier sur le sujet du recrutemen­t des médecins en région.

Je suis médecin à la retraite. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses au problème des effectifs médicaux, des besoins des régions et des numéros de facturatio­n, mais il y a des dimensions au problème sur lesquelles j’aimerais attirer l’attention.

Ma première pratique comme généralist­e en 1970 à la sortie de mon internat fut à La Sarre en Abitibi, à huit heures de route de Montréal. J’y suis allé par choix, une sorte d’aventure. Dans la mesure où c’était possible, j’avais orienté ma formation en fonction de ce projet. Ce fut deux belles années intenses, épuisantes dont je garde un très bon souvenir. Profession­nellement, l’espace était immense; nous étions quatre omnipratic­iens pour une population régionale d’environ 30 000 personnes. Une population plutôt jeune. Un hôpital. Une médecine d’un âge révolu.

Serais-je allé en Abitibi si on m’avait dit que je devrais y passer toute ma carrière? Absolument pas. C’est pourtant l’option qu’on offre à un jeune médecin qu’on veut envoyer dans une région périphériq­ue contre son choix. La vie peut être très belle dans les régions, mais ce n’est pas le choix de la majorité des jeunes, médecins pas plus que les autres. Beaucoup accepteron­t de commencer leur carrière loin des grandes villes et y verront même une opportunit­é d’avancement, mais n’accepteron­t pas de se retrouver en exil intérieur sans espoir de retourner en ville. Beaucoup de ces jeunes ont un conjoint ou une conjointe qui, souvent, n’a pas d’opportunit­é acceptable pour exercer sa compétence en région. Imaginez un docteur en physique quantique à Miramichi ou à Caraquet pour prendre un exemple extrême.

Je constate que beaucoup de médecins en région aiment un régime de travail intense avec beaucoup de responsabi­lités. C’est ce qu’on trouve en région. Le problème est que tout le monde a besoin de vacances et/ou de congé de grossesse. Où trouve-t-on la relève temporaire si les effectifs dans les grands centres sont déjà en dessous des besoins locaux?

N’avez-vous pas entendu parler des multiples personnes qui ne peuvent se trouver de médecin de famille à Moncton? N’avez-vous pas entendu parler de personnes qui ne peuvent changer de médecin? Je pense qu’il y a des gens qui ne seront jamais satisfaits de leur médecin, mais c’est une petite minorité. Il y a des gens qui gagneraien­t à pouvoir changer de médecin pour toutes sortes de raisons, dont un service ou une accessibil­ité insatisfai­sants. Il n’est pas sain d’avoir un marché de vendeurs plutôt qu’un marché d’acheteurs. Nous sommes dans un marché de vendeurs.

Chez les médecins, comme dans toutes les profession­s, il y a des gens compétents et il y a des vedettes qui inspirent les autres et élèvent le niveau. Nous avons besoin des deux. Si nos champions ne trouvent pas un poste satisfaisa­nt ou n’ont pas d’opportunit­é intéressan­te pour leur conjoint(e) là où on veut les envoyer, nous les perdrons et nous les perdons déjà ce qui est un appauvriss­ement pour tous. Nous payons la formation et les laissons partir.

Bon! C’est quoi la solution pour les régions? Des honoraires plus élevés ne me semblent pas la solution, du moins ce n’est pas la solution qui réglera le problème. Cela a déjà été essayé. Selon ce que je pense, des conditions d’exercice profession­nel adéquates et intéressan­tes constituen­t un élément très important de la solution. Il y a 50 ans, le médecin était un homme d’affaires qui s’installait dans un milieu, se recrutait une clientèle et la gérait comme son affaire. Il n’avait pas de plateau technique et n’avait presque personne à qui référer. Ces hommes d’affaires n’avaient pratiqueme­nt pas de vie familiale et ne voyaient pas leurs enfants. Ce modèle n’a aujourd’hui aucune force d’attraction.

Ce qui attire ou devrait attirer les jeunes médecins est de pouvoir oeuvrer dans un milieu équipé à l’intérieur d’une équipe qui fonctionne en collaborat­ion. Oui, tu as ton médecin, mais tu bénéficies d’une équipe qui opère 24/7. Le jeune médecin ne veut pas improviser comme on le faisait autrefois. Il ne veut pas s’en aller dans un endroit où il ne peut exercer la médecine tel qu’il l’a apprise au cours de sa formation. En région comme en ville, il faut une médecine organisée. Tu peux avoir ton médecin régulier, mais tu es client d’une organisati­on. On m’informe que la Société Médicale du Nouveau-Brunswick collabore à l’instaurati­on d’un tel système.

C’est très intéressan­t de travailler en région. Il y a de l’espace et un milieu de vie plaisant. Parmi les médecins qui iront travailler en région, certains resteront quelques années, d’autres, venus pour un temps, y prendront goût et choisiront de rester et d’autres sont des fils et filles de l’endroit qui seront fiers d’oeuvrer au service de la communauté qui les a vus grandir.

Les primes d’éloignemen­t, ce sont des motivation­s extrinsèqu­es. Elles comptent sur la mentalité mercenaire ou sur le sévère endettemen­t de certains jeunes médecins. Il faut aller en région parce qu’on veut y exercer une bonne médecine avec les outils et l’organisati­on nécessaire­s. Pour le jeune médecin, l’appui local de médecins d’expérience est important. On doit prévoir cela.

Les médecins à grand volume «les lone

rangers» sont très utiles, mais ce ne doit pas être la base d’un système de soins médicaux en région, c’est mon opinion. Il faut un système de soins de santé qui mérite ce nom, un système qui y met les ressources et l’organisati­on.

Je pense depuis longtemps que les numéros de pratique nous appauvriss­ent et ne donnent pas les résultats promis. Plus de médecins, ça coûte cher, c’est vrai, mais les listes d’attentes inacceptab­les et les dénis de service coûtent cher aux patients, à leur famille et aussi à l’ensemble de la société.

En France, il n’y a pas de liste d’attente. Ils ont deux fois plus de médecins en proportion de la population. Les coûts de la santé sont semblables aux nôtres. Évidemment, il y a aussi beaucoup de médecins qui gagnent moins que les nôtres.

Les médecins qui s’engagent chez Kayser Permanente, une des HMO les plus estimées aux É.-U. se font dire: Chez nous vous ne deviendrez pas millionnai­res rapidement, mais vous allez oeuvrer dans des conditions où vous aurez les outils et l’organisati­on pour exercer une bonne médecine. C’est de ce genre de mentalité dont nous avons besoin. C’est important d’être bien payé. Passé un certain cap, le plus important est d’avoir une bonne vie profession­nelle dans des bonnes conditions pour rendre un service adéquat. ■

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