Il fait tempête, ouvre ta cam!
La dernière grosse bordée de neige a transformé ma rue en mini féerie urbaine: tout était blanc comme sur les cartes de Noël. Quelle horreur! C’est trop tard: Noël est passé, ça fait quasiment deux mois! Le lendemain, bien sûr, tout était revenu à la normale: la neige avait repris ses tons gris pollution.
Dieu merci, les déneigeurs ont entrepris dès le surlendemain d’enlever ces tonnes de flocons passés date. Ouf. Quel soulagement. Vivement le bitume!
Hélas! Triplement hélas! Sous la neige, pas de bitume, mais de la glace. De la glace boréale. De la glace de pôle nord. De la glace vitrifiée, certifiée arctique. Ne manque que quelques ours polaires et je me croirais déménagé au Nunavut.
Devant ce cataclysme météo, j’ai eu le réflexe de la marmotte: on barre la porte, on se roule dans sa doudoune, on s’évache sur le divan, on regarde MétéoMédia à la télé et on grignote des chips en attendant le printemps.
Naturellement, je ne suis pas seul dans cette galère. Je sais, via les médias et les commentaires calamiteux postés sur l’internet, que vous aussi, peuple de l’Acadie et peuple de la Brayonnie, êtes victimes de ces tsunamis de flocons inutiles. Si au moins c’était de la manne, comme dans l’Ancien Testament, on pourrait la ramasser, la manger et sauver sur la facture d’épicerie. Mais non. Pas de chance égale pour tous ici!
Évidemment, c’est pire chez vous. Votre degré de victimisation est exponentiellement plus élevé que le mien, parce que j’ai beau être encabané, je peux toujours commander un taxi si je dois traverser la rue pour me rendre chez ma voisine d’en face. Mais pas vous autres.
En effet, dans les contrées de par chenous, aussi bucoliques soient-elles, les taxis sont rarissimes. Déjà que c’est compliqué d’avoir des ambulances en cas d’urgence pour aller dans des centres hospitaliers régionaux où l’on coupe des services à tout bout de champ!
Dans ce contexte, on comprend facilement que les autorités scolaires n’hésitent plus à fermer les écoles quand il fait tempête, ou qu’on pense qu’il va faire tempête, ou que ça d’l’air qu’il va faire tempête. Il ne faut prendre aucun risque, la sécurité des enfants est primordiale. Finalement,
De toute façon, même s’ils ne vont pas en classe, les jeunes victimes de la tempête ne perdent pas grand-chose. Ils sont en général équipés des gadgets nécessaires pour assurer leur survie en ce début de troisième millénaire: téléphone intelligent, tablette intelligente, ordi intelligent, jeux vidéo intelligents. C’est certainement pas un congé scolaire qui va les priver d’intelligence!
Évidemment, les enseignants-gnantes sont aussi des victimes: ils sont privés d’enseigner. Comme on sait qu’enseigner constitue littéralement une vocation – les spécialistes nous le rappellent souvent dans les colloques – on imagine aisément qu’ils sont dans tous leurs états lorsqu’ils apprennent que les écoles sont fermées pour la journée. On sympathise.
Paraît que certains, héroïques, se rendent quand même à l’école. Ils peuvent bien faire autant de burnout! Restez chevous!
Si les routes sont dangereuses pour les écoliers et les élèves, logiquement elles sont aussi dangereuses pour les profs. Et d’ailleurs dangereuses pour tout le monde: infirmières, camionneurs, livreurs, fonctionnaires, travailleurs d’usine, serveurs, caissières, vendeurs, policiers et tutti quanti! Restez tous chevous! Virez en marmotte!
Si d’aucuns ne voient rien d’alarmant dans le nombre de journées scolaires manquées, estimant qu’on peut toujours se rattraper pendant le reste de la période scolaire, certains s’en inquiètent.
Mais il existe bien des solutions à ce problème. Ainsi, on pourrait remplacer chaque jour de fermeture par une journée prise sur le congé de relâche!
Mieux encore, et là on tombe en plein dans le troisième millénaire et les gadgets intelligents essentiels au bonheur de nos enfants: on pourrait offrir les cours, sur le mode interactif, par vidéoconférences.
Exemple: grosse tempête, école fermée. Tout le monde reste chez soi. Le prof s’installe à son ordi, ses élèves en font autant chez eux, via Facebook, Skype, FaceTime, ou autre logiciel, ou encore via un réseau intra-muros de l’école, et le prof peut dispenser son cours à tous ses élèves restés à la maison! Bien sûr, le prof dispose d’un logiciel qui lui permet de voir tous ses élèves en même temps sur un écran, afin de s’assurer que tout le monde suit le cours, comme il le fait en classe normalement.
On entend souvent des parents affirmer avec conviction qu’ils veulent «le meilleur» pour leurs enfants.
Mais le meilleur quoi?
Le meilleur gadget ou le meilleur enseignement? Peu importe ce qu’il en est vraiment, dans ce cas-ci nous sommes en présence d’un merveilleux cas de figure: le meilleur enseignement livré via le meilleur gadget électronique! Match parfait!
Certes, en attendant de définir avec plus de précision de quoi est fait ce «meilleur» tant invoqué par les parents, il n’est pas interdit d’imaginer (ou même d’essayer d’imaginer) des solutions pratiques à des problèmes quasiment folkloriques!
Car les tempêtes d’hiver ont de tout temps causé des problèmes de logistique. Qui n’a pas entendu un adulte raconter que dans son temps, il a dû aller à l’école à pied, l’hiver. Même moi je me souviens d’avoir dû le faire une fois au moins parce que le chemin du Deuxième-Sault était littéralement bloqué et que la vieille barline de mon oncle Albert ne pouvait pas passer.
Dans le contexte de ce 21e siècle où nous nous gargarisons tant d’être le boutte du boutte en matière d’évolution et de développement technologique, il sera intéressant de voir quel district scolaire enneigé osera instaurer cette pratique en premier!
Depuis le temps que certains éducateurs nous vantent les mérites de l’informatique dans l’enseignement, voilà un bon moyen de joindre les gestes à la parole.
On ne dira plus: il fait tempête, on ferme l’école.
On dira: il fait tempête, ouvre ta cam! Han, Madame?