Guerre froide: des voyageurs canadiens embauchés comme apprentis espions
Le Canada a enrôlé des citoyens se rendant dans des pays communistes pendant la guerre froide pour collecter des renseignements, un élément obscur d’un programme gouvernemental peu connu dont l’existence est révélée dans un document historique récemment déclassifié.
Les responsables étaient devenus si inquiets devant la perspective de voir un de ces Canadiens être surpris en train d’espionner qu’ils ont demandé au premier ministre de l’époque, John Diefenbaker, de donner son aval au programme, révèle une étude d’un spécialiste du renseignement, Wesley Wark.
M. Wark a commencé à travailler à la fin des années 1990 sur une étude commandée par le gouvernement fédéral sur l’évolution du renseignement au Canada au cours des années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Une grande partie du manuscrit, qui repose sur des fichiers classifiés, a déjà été publiée en 2005 en vertu de la Loi d’accès à l’information, mais certains chapitres avaient été jugés trop sensibles à l’époque pour être divulgués.
Des détails supplémentaires sur le recrutement de voyageurs pour du renseignement ont été communiqués à La Presse canadienne à la suite d’une plainte déposée auprès du commissaire à l’information.
Au début de la Guerre froide, le Canada avait décidé de ne pas créer de service de renseignement pour espionner les pays étrangers. Toutefois, les responsables étaient conscients de l’importance d’obtenir des renseignements provenant de sources humaines, notamment pour gagner la faveur des partenaires puissants du Canada, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, mentionne M. Wark, qui enseigne à l’Université d’Ottawa.
Un programme a été établi en 1953 au sein du Comité mixte du renseignement afin de gérer la circulation d’informations secrètes sur des questions militaires et économiques.
Au début, les responsables ont principalement recueilli des renseignement auprès de transfuges et d’immigrants venus de l’Union soviétique et des autres pays du bloc de l’Est. Le programme a reçu un coup de pouce en 1956 avec l’arrivée au Canada de nombreux réfugiés fuyant la Hongrie à la suite du soulèvement raté, note M. Wark.
Au milieu de l’année 1958, les responsables se sont tournés vers les voyageurs canadiens, principalement des hommes d’affaires et des scientifiques, qui faisaient des séjours dans les pays communistes, ajoute-t-il.
Le comité a limité ses efforts en rencontrant des voyageurs à leur retour au Canada. Il s’est ensuite rendu compte qu’il serait sans doute plus utile de les avertir à l’avance, avant leur départ, du type de renseignements qu’on voulait obtenir.
«C’était une situation délicate, car on pouvait craindre que des citoyens canadiens se rendant à l’étranger soient arrêtés et accusés d’espionnage sans être protégés par un statut diplomatique, sans compter les risques politiques et l’embarras inhérents», souligne l’auteur de l’étude. ■