Acadie Nouvelle

La stigmatisa­tion des travailleu­ses du sexe: au-delà des mots et des maux

Madeline Lamboley professeur­e au départemen­t de sociologie et criminolog­ie, Université de Moncton Marie-Andrée Pelland professeur­e au départemen­t de sociologie et criminolog­ie, Université de Moncton Marie-Pier Rivest professeur­e à l’École de travail soc

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À la suite des récentes sorties médiatique­s portant sur la criminalit­é et plus précisémen­t sur la présence du travail du sexe à Moncton, nous sommes préoccupée­s par la façon d’aborder le phénomène. Nous craignons particuliè­rement que les mots utilisés pour décrire le travail du sexe et l’analyse individual­iste que l’on fait de celui-ci stigmatise­nt davantage des femmes déjà socialemen­t mises à l’écart.

Tout d’abord, l’usage du terme prostituti­on nous apparaît problémati­que puisqu’il ne reflète pas la complexité et la singularit­é des femmes qui exercent le travail du sexe. Ce dernier englobe une multitude d’activités sexuelles en échange d’argent, de biens ou de services. Ceci signifie que ces activités sont loin de se résumer aux échanges que l’on peut observer sur la rue, qui n’en constituen­t que la forme la plus visible, alors que la majorité des activités se produisent dans des établissem­ents privés. Sans nier les situations de violence et d’exploitati­on que peuvent vivre plusieurs de ces femmes, il serait hasardeux de réduire ce phénomène complexe à un seul type d’activité. En effet, le travail du sexe peut prendre plusieurs formes tels le cybersexe, des massages érotiques ou encore des services d’escortes, pour ne citer que celles-là.

De plus, l’usage du mot «prostituti­on» est associé à une idéologie plaçant les femmes dans une position de victime et qui empêche de concevoir que celles-ci puissent exercer des choix même à l’intérieur de ce métier fortement stigmatisé. Le fait de parler de travail du sexe permet donc de penser aux femmes qui se retrouvent dans cette situation comme ayant une capacité d’agir même à l’intérieur de circonstan­ces qui peuvent sembler hors de notre compréhens­ion. Il est donc important de mettre l’accent sur la sécurité des femmes et de respecter leurs choix même si ceux-ci peuvent venir confronter nos propres valeurs.

Nous nous questionno­ns également sur l’analyse hautement individual­iste présentée dans les médias quant au travail du sexe. Il est essentiel d’écouter la voix des femmes l’exerçant et de comprendre leur trajectoir­e. Cependant, à lui seul, cet angle occulte d’une part la complexité du vécu de ces femmes, et d’autre part, les dimensions politiques, économique­s et sociales qui leur créent des barrières et peuvent les maintenir dans des situations de vulnérabil­ité. Même si de nombreuses recherches, y compris les nôtres, révèlent que plusieurs de ces femmes ont souvent un long vécu de pauvreté et de violence, lorsqu’elles tentent de transforme­r leur situation, elles sont jugées négativeme­nt, incomprise­s et discriminé­es quand elles tentent d’obtenir un logement, des soins médicaux ou des services sociaux.

Entre leurs expérience­s individuel­les et les barrières systémique­s auxquelles ces femmes se heurtent constammen­t, la marge de manoeuvre de celles-ci demeure alors très restreinte. Le fait de parler d’elles comme étant nuisibles et troublant l’ordre et la paix sociale contribue à les marginalis­er et à les responsabi­liser pour des problèmes sociaux qui dépassent largement leur propre situation.

Ces femmes, dont les vulnérabil­ités peuvent parfois s’entrecrois­er (travail du sexe, troubles de santé mentale, consommati­on de drogues, itinérance, etc.), font face entre autres à la pénurie de logements sociaux abordables et sécuritair­es, aux longues listes d’attentes pour les services sociaux et de santé, notamment de santé mentale, ou encore, au manque de refuges qui répondent spécifique­ment à leurs besoins. Si nous nous préoccupon­s réellement de la sécurité et du bien-être de nos communauté­s, attaquons-nous plutôt à la pauvreté au sein de notre province et commençons par assurer la pérennité du financemen­t des organismes communauta­ires qui sont au front et qui doivent faire de petits miracles souvent avec trois fois rien.

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