Sur une peau de banane
Sylvain Charlebois Professeur, Distribution et politiques agroalimentaires, Université Dalhousie
Plusieurs pensent que la banane pourrait disparaître en raison d’un champignon mortel qui se propage dans le monde entier. Au Canada, nous ne devrions pas manquer de bananes, mais il faut s’attendre à les payer plus cher dans les mois à venir.
La planète connaîtra possiblement une pénurie de bananes. Au cours de l’été, des rapports ont suggéré qu’un champignon mortel, le Fusarium TR4, qui infecte les bananiers et provoque la maladie de Panama, a atteint l’Amérique pour la première fois et pourrait se propager davantage, affectant les cultures de bananes vendues aux États-Unis et au Canada. Après avoir détecté cet agent pathogène au Moyen-Orient, en Asie et en Australie, de nombreux experts s’attendaient à ce que le champignon hautement contagieux atteigne les Amériques dans les cinq prochaines années. Cependant, la Colombie a découvert son premier cas à la mi-août et certains suggèrent que l’Équateur en découvrira à son tour très prochainement. Même si ce champignon mortel ne représente aucune menace pour l’humain, la situation peut s’avérer dévastatrice pour la culture et pour les milliers d’agriculteurs qui dépendent de la banane pour survivre.
Le Fusarium TR4 se répand généralement à une vitesse d’environ 100 kilomètres par an. Les bananiers étant asexués, la maladie se propage plus rapidement à cause de sa propre génétique. Elle se propage par les activités humaines, se transporte sur les vêtements et les chaussures des travailleurs, et peut rester en dormance dans le sol pendant des décennies. La plupart des bananes que nous consommons au Canada proviennent d’Amérique latine et d’Amérique du Sud. Nos principaux fournisseurs se retrouvent au Guatemala, au Costa Rica, en Colombie et en Équateur. Certains experts s’attendent à ce que la plupart de ces marchés soient contaminés par le champignon mortel au cours des prochaines années. La banane constitue non seulement une source de nourriture importante pour les Latinoaméricains, mais elle représente aussi l’une des exportations majeures de la région.
Au début du 20e siècle, on avait créé la variété Cavendish pour contrer la propagation d’une autre maladie de souche antérieure à la maladie de Panama qui avait pratiquement éradiqué l’approvisionnement mondial en bananes Gros Michel. Chiquita et Dole, deux entreprises qui dominent le marché, ont remplacé leur production par cette variété résistante à la maladie de Panama. Près de la moitié des bananes dans le monde aujourd’hui sont de cette variété, réputée pour son adaptabilité à la production à grande échelle et sa durée de conservation prolongée pendant le transport à travers le monde. Mais à présent, les entreprises n’ont rien prévu pour remplacer la Cavendish, ce qui expliquerait la raison pour laquelle le secteur se retrouve en mode panique.
Pendant ce temps, au Canada, nous aimons les bananes. Les bananes constituent un aliment de base important dans le régime alimentaire des Canadiens. Nous importons annuellement pour plus de 600 millions $ de bananes et le Canadien moyen en consomme plus de 15 kilos par an, soit environ une centaine d’unités. Les bananes totalisent plus de 9% de tous les fruits importés au Canada. De plus, les bananes s’adaptent bien à nos penchants alimentaires modernes. Elles se transportent bien, peuvent être mangées n’importe où, ne requièrent pas de réfrigération, possèdent une pelure naturelle pour assurer sa salubrité, ne nécessitent aucun emballage en plastique et constituent un assez bon apport nutritif. Les bananes subsistent aux caprices de nombreuses préférences gustatives et peu de régimes alimentaires les excluent. De plus, elles ont toujours été abordables, du moins jusqu’à présent.
Bloomberg a indiqué que le prix des bananes importées des États-Unis battait des records ces jours-ci, en raison des maladies. Le prix a dépassé 1200$ la tonne métrique pour la première fois cette année et les marchés s’attendent à une nouvelle hausse des prix. À un moment donné, les prix que nous payons refléteront sûrement cette augmentation.
Mais nous ne prévoyons pas manquer de bananes de sitôt. Chiquita et Dole ont bien sûr beaucoup à perdre. Plusieurs plantations font déjà l’objet d’une mise en quarantaine et d’une protection par des mesures de biosécurité extrêmement restrictives. Les bananes continueront d’être vendues aux États-Unis et au Canada, mais vous pouvez vous attendre à ce que votre budget écope dans les mois à venir en raison de l’évolution de la maladie qui affecte la Cavendish.
Pour le fruit lui-même, les agriculteurs ont besoin de plus de cultivars. Pour sa survie, l’élevage de bananes deviendra un élément clé pour aller de l’avant. En fait, ces dernières années, les sélectionneurs ont même réussi à créer une pelure comestible, mais ce type de banane coûte 8$ l’unité. Excellente solution à notre problème de gaspillage alimentaire, mais un tel prix en gêne plus d’un. Il reste toutefois beaucoup de travail à accomplir. Et si vous pensez que le Canada devrait produire ses propres bananes, eh bien, il le fait déjà. Canada Banana Farms, située en Ontario, produit des bananes, mais à très petite échelle. Les Jardins publics de Halifax auront également des bananes poussant à l’extérieur à partir de cette année. Certains rapports suggèrent que les agriculteurs de la Saskatchewan, de l’Alberta et du Québec mettent également en place leurs propres serres de fruits tropicaux. Des projets intéressants, mais les phytologues du Canada, dont beaucoup profitent d’une renommée internationale, pourraient aider l’Amérique latine dans son programme de sélection.
Mais avant que le Canada ne devienne une superpuissance de la banane, nous continuons de compter sur les fruits importés. Espérons donc que nos amis du Sud pourront trouver un moyen de réduire les risques liés à Fusarium TR4, avec ou sans notre aide.
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