LA MORT LENTE DES DÉMOCRATIES
Dans leur livre de 2018 intitulé La mort des démocraties, les politologues Steven Levitsky et Daniel Ziblatt documentent la mort lente des démocraties qu’ils résument de la manière suivante. Elles ne meurent plus comme naguère, avec des coups d’État et des tanks dans la rue. Les gouvernements autoritaires s’installent désormais au pouvoir à la suite d’élections régulières. Commence alors un processus discret de démantèlement des institutions démocratiques qui remet en cause l’indépendance de la justice, limite la liberté de la presse, noyaute les instances arbitrales et découpe de manière partisane la carte électorale. Lorsqu’on pense à la marche progressive de l’autoritarisme au 21e siècle, le réflexe habituel en Occident est de penser au processus observé dans des pays comme la Chine de Xi Jinping, la Russie de Vladimir Poutine, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan ou encore la Hongrie de Viktor Orban. L’actualité politique internationale de ces dernières semaines démontre toutefois que même des démocraties bien enracinées comme le Canada, la Grande-Bretagne et les ÉtatsUnis ne sont pas à l’abri.
Les leçons déçues du Canada
En 2015, après près d’une décennie de règne conservateur, les Canadiens faisaient confiance au jeune libéral Justin Trudeau. Celui-ci a mené une excellente campagne fondée sur l’optimisme et l’ouverture. Sa promesse de rompre avec l’orthodoxie économique, en particulier en termes d’équilibre budgétaire, a séduit et inspiré au-delà même du Canada. Une idée qu’une majorité d’électeurs jugera bien plus audacieuse que le discours des conservateurs axé sur la peur. Ou des plans réformateurs des sociauxdémocrates du NPD, pourtant longtemps en tête dans les sondages.
Les pays en proie aux tensions ethniques et territoriales avaient aussi les yeux rivés sur le Canada qui héberge un mouvement indépendantiste au Québec. Celui-ci connut son paroxysme il y avait environ 20 ans, lorsque, de justesse, les partisans de l’union obtinrent la victoire. Francophone assumé, Trudeau recevait ainsi de ses compatriotes un mandat sans équivoque pour présider au destin de tout le Canada. Ses manquements répétés à l’éthique, ainsi que les graves allégations contre lui de trafic d’influence judiciaire, ont douloureusement terni les inspirantes leçons démocratiques qu’il incarnait à la face du monde.
Grande-Bretagne: un Royaume failli?
Lors de la campagne référendaire de 2016, les Britanniques ont voté, assurés qu’ils ne quitteraient pas l’Union européenne sans accord. Les promesses électorales n’engagent toutefois que ceux qui y croient. On n’entend ainsi plus parler des avantages tellement vantés que procurerait le Brexit, à l’exception d’un hypothétique accord commercial avec les États-Unis de Trump. Qui pis est, en cas de sortie de l’union douanière européenne sans accord le 31 octobre prochain, l’avenir de l’Union de l’Angleterre, de l’Écosse, du Pays de Galles et de l’Irlande du Nord serait menacé. Boris Johnson, le «Trump britannique», vient de suspendre provisoirement le Parlement afin de se donner les coudées franches. Ceux qui critiquent la folle aventure des «Brexiters» sont des «ennemis du peuple». Ainsi en est-il de trois juges britanniques qui ont affirmé le principe de la souveraineté parlementaire dans le processus du Brexit. L’enviable démocratie parlementaire britannique est sérieusement éprouvée. Miné par le populisme, le mensonge et la xénophobie, un ancien officiel britannique va jusqu’à comparer son pays à un État failli. Jusqu’il y a peu, c’était l’apanage de pays du monde en développement où les institutions démocratiques ne sont pas profondément enracinées.
Donald Trump: l’ennemi intime
Donald Trump vient encore de démontrer qu’il est le pire ennemi de la démocratie américaine et, par ricochet, du leadership mondial de son pays. Cette semaine, il a déformé une prévision météorologique, affirmant faussement que l’État d’Alabama était menacé par l’ouragan Dorian. L’Administration nationale des océans et de l’atmosphère publiera une déclaration corroborant l’information fantaisiste de Trump. De l’avis des analystes, elle l’a fait pour sortir le président de l’embarras.
Qu’une telle institution, censée être totalement technique et apolitique, se sente obligée de passer outre les avis de ses propres experts et de mentir par allégeance au président en dit néanmoins long sur la santé démocratique de la première puissance mondiale. D’où aussi les doutes sur l’issue de la démarche de certains élus démocrates qui s’affairent aujourd’hui à préparer un procès en destitution du président républicain pour allégations de corruption financière et d’obstruction à la justice.