FIDÈLE CLIENT DE LA DICTATURE SAOUDIENNE P. 2 ET 3
Le chef du Parti conservateur Andrew Scheer souhaite que le Canada cesse d’acheter le pétrole de pays étrangers, en particulier de l’Arabie Saoudite dont Irving Oil est aujourd’hui le seul client. Mais plusieurs experts du secteur mettent en doute la pertinence d’un tel projet.
Depuis plusieurs mois, le candidat Andrew Scheer martèle son intention de construire un corridor énergétique pancanadien qui relierait les provinces d’est en ouest et garantirait «l’indépendance énergétique» du pays.
Sa promesse: mettre fin à toutes les importations de pétrole d’ici 2030. Ces approvisionnements enrichissent les «États voyous» qui «ne respectent pas les droits humains», mentionne M. Scheer. Il cite le cas de l’Arabie Saoudite dont la raffinerie de Saint-Jean tire le plus gros de sa matière première.
«C’est absolument ridicule de continuer à importer du pétrole de l’Arabie saoudite alors que nous devrions utiliser l’énergie de l’Ouest canadien. Il est temps de construire des pipelines et de créer des emplois et de la prospérité ici même au Canada», avance-t-il.
Le chef conservateur reprend ainsi l’un des arguments des partisans de l’oléoduc Énergie Est, qui affirment qu’un pipeline acheminant le pétrole des Prairies jusqu’à Saint-Jean mettrait fin aux importations.
C’est notamment le discours de l’Association des Producteurs de pétrole et de gaz naturel du Canada.
«Des pipelines supplémentaires depuis l’Ouest canadien pourraient potentiellement réduire la dépendance vis-à-vis du pétrole importé d’Arabie saoudite et offriraient plus d’options aux raffineurs de l’est du pays, ce qui pourrait les aider à surmonter les perturbations mondiales», écrit un porte-parole du regroupement industriel, Jay Averill. Pour d’autres, la réalité est plus complexe. Les raffineries du Canada atlantique sont équipées pour traiter des pétroles bruts légers, mais n’ont pas la capacité de raffiner le pétrole lourd des sables bitumineux. Y parvenir nécessiterait de très coûteux travaux de modernisation et l’ajout d’une unité de cokéfaction dont la facture atteindrait plus ou moins 2 milliards $ selon divers analystes.
Cependant, aucun investissement de cette ampleur n’a été annoncé par Irving Oil. Un rapport de 2018 du Canadian Energy Research Institute suggère d’ailleurs que de tels travaux ne sont pas rentables compte tenu de l’état du marché.
«La capacité de raffinage pour traiter le pétrole brut lourd est limitée car récemment, la différence de prix par rapport au pétrole brut léger n’a pas été suffisamment large pour couvrir le coût d’installation d’une unité supplémentaire de raffinage.»
Davantage de pipelines ne feront pas disparaître la dépendance au pétrole étranger du jour au lendemain car tous les pétroles ne sont pas interchangeables, estime JeanThomas Bernard, professeur au département de science économique de l’Université d’Ottawa. Le pipeline Énergie Est devait servir essentiellement à exporter du pétrole des sables bitumineux, rappelle-t-il.
«Les raffineries de l’est ne peuvent pas servir de débouchés au pétrole albertain pour le moment, c’est un mythe de penser que ça va nous permettre d’éviter des prix plus élevés. Les Albertains ne veulent pas des pipelines pour vendre leur pétrole à un prix inférieur dans les provinces de l’Atlantique, ils veulent des pipelines pour l’exporter sur le marché international au meilleur prix.»
Le professeur Normand Mousseau, auteur de plusieurs ouvrages sur les enjeux énergétiques et directeur académique de l’institut de l’énergie Trottier, rappelle que le Canada est déjà un exportateur net de pétrole, c’est à dire qu’il en exporte plus qu’il en importe. En 2018, le pays a expédié 3,6 millions de barils par jour hors de ses frontières.
«Andrew Scheer démontre son incompréhension des marchés internationaux. On exporte plus de pétrole qu’on en consomme, nous sommes donc déjà indépendants en matière énergétique! Nous sommes dans un marché ouvert, est-ce qu’on parle de mettre des murs autour du pays?»
Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, abonde dans le même sens. «Toute idée d’“indépendance énergétique” est un argument pour pousser les exportations, mais n’a pas de fondement en soi», dit-il.
De son côté Jean-Thomas Bernard compare la mesure phare du candidat bleu au programme énergétique national mis par Pierre-Elliott Trudeau en 1980 pour promouvoir l’autosuffisance pétrolière du Canada et s’assurer que le pétrole albertain soit d’abord vendu au Québec et à l’Ontario à des prix compétitifs. La réforme avait été extrêmement impopulaire dans l’Ouest canadien.
«À l’époque, les Albertains s’opposaient à l’idée de vendre leur pétrole moins cher. Ça a mené à la chute de Trudeau. C’est surprenant que Scheer revienne à une idée similaire.» ■