Acadie Nouvelle

L’appétit d’Irving Oil pour l’or noir saoudien

- Simon Delattre simon.delattre@acadienouv­elle.com @Simon2Dela­ttre

La raffinerie Irving Oil n’a jamais acheté autant de pétrole produit par l’Arabie saoudite. 42 millions de barils en 2018, soit presque un cinquième des importatio­ns du pays. Des 14 raffinerie­s canadienne­s, l’installati­on de SaintJean est d’ailleurs la seule à importer le pétrole du royaume saoudien.

Saudi Aramco, le géant du pétrole détenu à 100% par le régime saoudien, est devenu le principal fournisseu­r d’Irving Oil, propriétai­re de la plus grande raffinerie au pays.

Ces importatio­ns ont augmenté de 82% depuis 2012 pour atteindre un niveau record l’an dernier: 42 millions de barils d’une valeur de plus de 3,54 milliards $.

À titre de comparaiso­n, le budget 20192020 du gouverneme­nt du NouveauBru­nswick s’élève à 9,823 milliards de dollars.

Ces 42 millions représente­nt 18% de toutes les importatio­ns de pétrole au Canada et 47% des approvisio­nnements étrangers d’Irving Oil (loin devant les quantités de pétrole acheminées depuis les États-Unis, l’Azerbaïdja­n ou la Norvège).

En 2016, en plein débat autour du projet Énergie Est, le président d’Irving Oil Ian Whitcomb avait déclaré que la constructi­on du pipeline ne mettrait pas fin aux importatio­ns de pétrole en provenance de l’Arabie saoudite.

En entrevue avec le Financial Post, M. Whitcomb expliquait alors que le pétrole saoudien présente un intérêt pour la multinatio­nale en raison du faible coût du transport par pétroliers, et soulignait le souhait de son entreprise de maintenir une diversité d’approvisio­nnements.

L’Acadie Nouvelle a contacté Irving Oil pour savoir si cette position était toujours d’actualité. Nous n’avons pas reçu de réponse à notre demande.

LES TENSIONS DIPLOMATIQ­UES NE FREINENT PAS LES AFFAIRES

Les relations entre Ottawa et Riyad, capitale du royaume saoudien, sont particuliè­rement tendues depuis une dispute diplomatiq­ue sur les droits de la personne l’an dernier.

Un message de la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland dénonçant l’arrestatio­n de militants des droits de la personne a mis le feu aux poudres. L’Arabie Saoudite avait notamment expulsé l’ambassadeu­r du Canada à Riyad, rapatrié son ambassadeu­r à Ottawa et annoncé un moratoire sur tout nouvel accord commercial et tout nouvel investisse­ment impliquant des intérêts canadiens.

Mais l’entreprise d’État Saudi Aramco n’a pas l’habitude de mélanger pétrole et politique, si bien que la querelle n’a eu aucune incidence sur les échanges commerciau­x du Nouveau-Brunswick dont la raffinerie a continué de recevoir des livraisons de 112 090 barils par jour extraits du désert saoudien.

L’Arabie Saoudite se retrouve régulièrem­ent au banc des accusés pour les crimes de guerre commis lors du conflit au Yémen qui fait rage depuis 2014 et a engendré l’un des pires crises humanitair­es de la planète. À cela s’ajoute la répression violente des opposants politiques et l’assassinat du journalist­e Jamal Khashoggi, torturé et assassiné par des forces spéciales saoudienne­s le 2 octobre 2018.

Le bilan en matière de droits humains est accablant: le royaume continue d’appliquer les amputation­s pour vol, les lapidation­s pour adultère, les tortures et décapitati­ons publiques, tandis que le blasphème ou l’homosexual­ité peuvent être punis par la peine de mort.

Reste que les importatio­ns de pétrole sont surtout liées à des considérat­ions économique­s, plus qu’à une question de diplomatie, souligne Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal. Elles dépendent du désir des raffineurs canadiens privés d’obtenir le bon type de pétrole au meilleur prix.

Selon M. Pineau, la provenance du pétrole importe peu pour la raffinerie Irving. «En fait, les raffinerie­s n’ont pas de préférence pour la provenance du pétrole, ce n’est que le prix et le type de pétrole qui comptent», explique l’universita­ire.

«Les importatio­ns n’ont rien à voir avec la diplomatie, elles fluctuent d’année en année selon la production, l’état du marché, renchérit Normand Mousseau directeur académique de l’institut de l’énergie Trottier. Est-ce qu’il y a un problème moral à acheter le pétrole de l’Arabie Saoudite? C’est une autre histoire.» ■

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