Acadie Nouvelle

Lettre ouverte à M. Blaine Higgs

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Sébastien Lord-Émard Moncton

Permettez que je vous écrive en français, M. Higgs. On me dit que vous avez amélioré votre maîtrise de ma langue maternelle, en particulie­r en lecture. C’est bien, je vous félicite et vous encourage. Mais je dois aborder un autre sujet avec vous, aujourd’hui, que celui des langues officielle­s. J’aimerais vous parler en tant que simple citoyen qui se trouve au milieu du chemin de sa vie. Je ne suis plus tout à fait jeune, mais je ne suis pas très vieux non plus. J’ai une bonne vitalité, si vous me permettez l’expression. La perspectiv­e d’être placé dans un foyer de soin n’est pas encore à l’horizon.

Pourtant, je suis inquiet.

Je vous écris, M. Higgs, parce que je lis et je m’informe, même si, parfois, je ne comprends pas tout ce qui se passe dans notre province. Je ne vous apprends rien si je vous dis que la question des foyers de soin revient souvent dans les médias… J’entends aussi les gens en parler. De plus en plus, je me sens concerné par la question.

En tant que citoyen, j’ai peur de vieillir au Nouveau-Brunswick si les employés des foyers de soin, celles et ceux qui prendront soin de moi un jour, sont au bout du rouleau, démoralisé­s, épuisés ou sous-payés. Prendre soin de quelqu’un demande du temps. Ça exige des qualificat­ions. Ça prend des conditions de travail dignes pour celles et ceux (majoritair­ement des femmes) qui doivent s’assurer de maintenir nos aînés et nos personnes malades dans la dignité.

Les résidents des foyers de soin sont déjà trop souvent vulnérable­s, parfois sans famille ou sans moyens financiers. Les personnes qui en prennent soin doivent effectuer des tâches que, personnell­ement, je ne sais même pas si je serais capable d’accomplir longtemps pour ma plus proche parenté, encore moins pour des inconnus…

J’ai peur de vieillir, M. Higgs, et d’être laissé sans bain pendant trois semaines faute de personnel. C’est terrible, cette perspectiv­e! Je veux bien croire qu’un bain par jour n’est pas nécessaire. Mais nos aînés ne méritent-ils pas de recevoir les meilleurs soins et surtout, surtout, de conserver leur dignité? Cet exemple du bain, relayé par les médias, est anecdotiqu­e parmi tous les défis, mais il est réel.

Je ne doute pas de votre empathie envers les personnes vulnérable­s. Et je sais que la gestion administra­tive de ces 46 foyers de soin dont les employés sont encore sans contrat de travail est compliquée. Je sais que notre province a des choix difficiles à faire. Notre économie est au bord du gouffre, pour reprendre l’expression de Richard Saillant. Je ne peux malheureus­ement pas vous aider avec ça, M. Higgs, ça dépasse de loin mes capacités.

Accorder des augmentati­ons de salaire fait gonfler les budgets très rapidement, et ça, c’est problémati­que dans notre situation… Je comprends. Je comprends, mais je n’accepte pas. Je veux bien croire qu’on est pauvres, mais je ne peux pas croire qu’on est sans coeur.

Car entre, d’un côté, l’efficience quantifiab­le des programmes ou des structures, et de l’autre, la dignité des travailleu­rs, des personnes malades, des personnes âgées, il y a un autre gouffre, qui n’est pas financier: il est moral.

Monsieur le premier ministre, ne m’en voulez pas si je vous demande, aujourd’hui, en faveur des travailleu­rs, au nom de la dignité humaine, d’agir.

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