Acadie Nouvelle

La démocratie au Canada: l’effritemen­t de nos institutio­ns - Première partie

- Donald J. Savoie Chaire de recherche du Canada en administra­tion publique et en gouvernanc­e

NDLR: Voici des extraits du plus récent livre du professeur Donald J. Savoie, intitulé La démocratie au Canada : l’effritemen­t de nos institutio­ns, qui paraît vendredi. La suite samedi.

Les démocratie­s libérales ne tombent pas toujours sous des tirs de fusils. Elles peuvent aussi mourir à petit feu. Elles ont besoin d’institutio­ns en santé qui doivent continuell­ement gagner la confiance des citoyens. Par conséquent, nous devons sans cesse veiller à ce que le cynisme ne vienne pas miner leur légitimité.

Nous, Canadiens et Canadienne­s, pouvons être fiers de la façon dont nos institutio­ns politiques et administra­tives nationales fonctionne­nt, du moins lorsqu’on les compare à celles d’autres pays. Toutefois, la démocratie canadienne connaît elle aussi son lot de problèmes. Un sondage récent auprès des Canadiens révèle qu’ils ont peu confiance dans leurs députés fédéraux, que le monde politique répugne aux Canadiens davantage qu’il ne les attire et que la légitimité de tout notre système démocratiq­ue est en péril. Mais ce n’est pas tout. Le nombre de membres appartenan­t à des partis politiques a tendance à diminuer, les partis politiques sont le reflet de leur chef plutôt que l’inverse et les partis politiques sont à court d’idées pour formuler des politiques.

Les Canadiens croient de plus en plus qu’ils ont peu de contrôle sur le gouverneme­nt et, pire encore, que même les politicien­s ont peu d’emprise sur les événements à mesure qu’ils prennent forme. La capacité du gouverneme­nt de gouverner tout en démontrant une certaine réceptivit­é afin de préserver la confiance du public envers le système politique est mise à l’épreuve. Si les Canadiens veulent savoir où est situé le pouvoir politique, ce n’est pas du côté du Parlement, des partis politiques, du Cabinet ou de la bureaucrat­ie qu’ils doivent regarder, mais bien du côté du premier ministre, de ses proches conseiller­s et des grands lobbyistes. C’est là que réside le problème.

Les Canadiens ordinaires ne peuvent pas se permettre que des lobbyistes arpentent les coulisses du pouvoir. Ils ont leurs députés mais, selon les mots d’un ancien premier ministre fédéral, les députés ne sont «plus rien dès qu’ils se trouvent à 50 mètres de la Colline». C’était il y a 50 ans. De nos jours, les députés ne sont plus rien même à l’intérieur du Parlement. Et cette semaine, un important homme d’affaires de Toronto me disait que «les PDG ne savent plus qui sont leurs députés, mais ils connaissen­t très bien leurs lobbyistes».

Les ministres du Cabinet ne jouissent plus du pouvoir ou de la notoriété qu’ils avaient autrefois. Pensons notamment à Allan J. MacEachen, C.D. Howe, Don Jamieson et Marc Lalonde. Comme m’a déjà dit un ministre de premier plan du gouverneme­nt Chrétien: «Le Cabinet n’agit plus comme un organe décisionne­l, mais plutôt comme un groupe de consultati­on du premier ministre.»

Durant son premier siècle d’existence, le Canada a conservé les institutio­ns politiques importées de Grande-Bretagne, refusant de procéder à leur modificati­on ou se révélant incapable de le faire, et ce, même si les conditions sociopolit­iques au Canada (État fédéral, société de pionniers et clivage linguistiq­ue) étaient très différente­s de celles en Grande-Bretagne (État unitaire, société soucieuse des classes sociales et absence de clivage linguistiq­ue). Conçues pour un État unitaire, les institutio­ns politiques nationales du Canada, passées et actuelles, continuent de nier la géographie du pays.

Les États-Unis ont un Sénat qui donne une voix crédible aux régions, grandes et petites, et un Collège électoral qui est susceptibl­e d’empêcher que le choix d’un futur président ou d’une future présidente ne repose uniquement sur la représenta­tion selon la population. Le Canada n’offre pas le même genre de protection aux régions peu peuplées que celle qui existe dans d’autres fédération­s, y compris l’Allemagne, l’Australie et la Russie.

L’un des principaux arguments que je fais valoir dans mon livre est que le Canada fait piètre figure sur le plan de l’égalité régionale lorsqu’on le compare à d’autres fédération­s.

Le régionalis­me est loin d’être le seul défi auquel les institutio­ns politiques nationales du Canada sont confrontée­s. Ceux et celles qui étudient le gouverneme­nt font valoir que nous vivons dans un monde «postdémocr­atique» dont l’avènement a été causé par la mondialisa­tion, les marchés financiers mondiaux, les médias sociaux et le retrait des citoyens de la participat­ion politique. Ils soutiennen­t que les institutio­ns représenta­tives officielle­s sont demeurées en place, mais que le siège des décisions politiques s’est déplacé ailleurs.

Toutes les institutio­ns qui sous-tendent la démocratie représenta­tive font face à des défis importants. Les médias traditionn­els, dotés d’un ensemble de mesures de vérificati­on des faits et de supervisio­n éditoriale, perdent rapidement du terrain au profit des médias sociaux, qui sont un véritable Far West.

Le monde numérique a permis au mot «post-vérité» de se répandre. Il suffit maintenant d’avoir «entendu cela quelque part» pour s’exprimer dans les médias sociaux. Il en résulte que les médias sociaux éloignent les gens autant qu’ils les rapprochen­t. Si votre fil de nouvelles sur Facebook vous met constammen­t en colère, il ne vous restera peut-être plus tellement l’énergie ou l’intérêt de mener des actions qui font bouger les choses, comme faire du bénévolat, adhérer à un parti politique ou même voter.

La fonction publique n’est plus ce qu’elle était. Le dénigremen­t dont la bureaucrat­ie est l’objet lui a porté un dur coup. La gouvernanc­e exercée à partir du Cabinet du premier ministre, les campagnes électorale­s permanente­s alimentées par des chaînes d’informatio­n continue et la nécessité que les fonctionna­ires restent attentifs aux agents du Parlement constammen­t penchés par-dessus leur épaule rendent la vie difficile aux fonctionna­ires de carrière.

C’est particuliè­rement le cas dans les bureaux régionaux, où les programmes et les services sont offerts. Ces dernières années, les bureaux régionaux ont vu leur personnel diminuer de plus en plus au profit des administra­tions centrales des ministères à Ottawa.

Aujourd’hui, plus de 40% des fonctionna­ires fédéraux travaillen­t à Ottawa. Ce nombre était de 27% il y a 40 ans. On affirme qu’il faut toujours plus de personnel à Ottawa pour fournir au Cabinet du premier ministre et aux organismes centraux le matériel nécessaire afin qu’ils puissent gérer le jeu des accusation­s qui se joue sur les réseaux d’informatio­n continue et les médias sociaux.

Bref, nos institutio­ns politiques, à commencer par le Parlement, le Cabinet et la fonction publique fédérale, ont vu leur situation se détériorer en raison de la négligence bénigne de ceux qui pourraient y insuffler de réels changement­s.

Le Parlement a perdu sa qualité de tribune et sa faculté d’examiner les activités gouverneme­ntales, il ne contribue plus vraiment à faire progresser les débats sur les politiques et il propose peu de solutions aux difficulté­s importante­s auxquelles le pays est confronté.

Le Cabinet n’a pas l’influence suffisante pour diriger le gouverneme­nt et faire en sorte que les régions soient entendues.

Le premier ministre Trudeau a fait ce qu’aucun premier ministre précédent ne croyait possible: il s’est débarrassé des ministres régionaux parce, de toute évidence, il ne pouvait pas appliquer le concept de ministre régional en Ontario et au Québec. Il suffit d’y réfléchir un moment pour comprendre que l’Ontario et le Québec n’ont pas besoin de ministres régionaux. Plus de la moitié des membres du Cabinet sont issus de ces deux provinces, dont le premier ministre et le ministre des Finances, et presque tous les hauts fonctionna­ires se trouvent dans la région d’Ottawa-Gatineau. De plus, Trudeau a fait ce qu’aucun de ses

Donald J. Savoie prédécesse­urs n’a jamais tenté de faire: il a nommé le député de Mississaug­a à titre de ministre responsabl­e de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique (APECA).

Les ministres, les députés et les aspirants députés sont fort utiles en période électorale. Les conseiller­s politiques soutiennen­t que le meilleur moyen de remporter les élections est de mener cinq campagnes différente­s: une au Canada atlantique, une au Québec, une en Ontario, une dans les Prairies et une en ColombieBr­itannique. Je souligne cependant que, une fois les élections remportées, l’état d’esprit est entièremen­t tourné vers la politique nationale (un mot codé pour désigner les intérêts économique­s de l’Ontario et du Québec) au point que toutes les initiative­s doivent correspond­re aux exigences de politiques et de programmes prescrites à l’échelle nationale.

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