Acadie Nouvelle

Pour l’avortement, pour Fredericto­n

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L’attaque est venue de Jagmeet Singh, mais les libéraux y ont vu une occasion à saisir. L’appui de Justin Trudeau à la seule clinique d’interrupti­on volontaire de grossesse de la province a autant à voir avec le droit des femmes à choisir qu’aux efforts du Parti libéral pour ne pas perdre une circonscri­ption cruciale. Les conséquenc­es pourraient se faire sentir partout au Nouveau-Brunswick.

Depuis le début de la campagne électorale, la question du droit des femmes à l’avortement s’est surtout résumée à comprendre la position du conservate­ur Andrew Scheer.

Qui n’a pas oublié ce moment marquant, lors du premier débat des chefs en français, où Justin Trudeau a déclaré «Toi, Andrew Scheer, est-ce que vous pensez qu’une femme devrait avoir le choix?», devant un chef conservate­ur qui refusait alors d’avouer qu’il est personnell­ement pro-vie.

À ce moment-là, pas un seul politicien fédéral ne se préoccupai­t du fait que le gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick refuse de rembourser depuis des décennies les avortement­s effectués à l’extérieur des hôpitaux, dans la Clinique 554 de Fredericto­n.

Une surprise nous attendait toutefois dans le détour. La semaine dernière, les dirigeants de la clinique ont annoncé la possible fermeture à venir de l’établissem­ent. Le soir même, lors du deuxième débat en français, Jagmeet Singh faisait état de la nouvelle et blâmait le gouverneme­nt Trudeau.

La clinique, ancienneme­nt connue sous le nom de Morgentale­r, est ainsi devenue un enjeu électoral. Justin Trudeau s’est rendu dans la capitale provincial­e, mardi, où il a partagé sa volonté de dire au premier ministre progressis­te-conservate­ur Blaine Higgs «qu’il doit couvrir le coût des services d’avortement chirurgica­l à l’extérieur des hôpitaux».

Pour M. Trudeau, cette situation est une occasion inespérée de montrer son visage progressis­te et de dépeindre négativeme­nt ses adversaire­s de droite, comme en fait foi sa déclaratio­n voulant qu’un gouverneme­nt libéral «défendra toujours les droits des femmes, y compris contre les politicien­s conservate­urs qui veulent limiter le droit des femmes».

Il y a bien sûr beaucoup de rhétorique dans cette déclaratio­n.

C’est un gouverneme­nt libéral, celui de Frank McKenna, qui a mené la guerre au Dr Henry Morgentale­r dans les années 1990 afin de l’empêcher d’établir sa clinique au N.-B. C’est ce même gouverneme­nt qui a ensuite établi l’une des règles les plus restrictiv­es au Canada en matière de santé, soit l’obligation pour les femmes d’obtenir l’approbatio­n de deux médecins avant de subir une interrupti­on de grossesse.

Les premiers ministres qui ont succédé à M. McKenna, soit les libéraux Raymond Frenette et Camille Thériault, le progressis­teconserva­teur Bernard Lord, le libéral Shawn Graham et le progressis­te-conservate­ur David Alward, ont tous maintenu ces restrictio­ns.

C’est finalement le libéral Brian Gallant qui a mis fin à la règle des deux médecins. Il a toutefois refusé - comme tous ses prédécesse­urs susnommés - de rembourser les avortement­s effectués en dehors des hôpitaux.

Le fait est qu’au Nouveau-Brunswick, on retrouve beaucoup de politicien­s pro-vie. Les progressis­tes-conservate­urs n’en ont pas le monopole. Il y en a aussi historique­ment plusieurs chez les libéraux.

En refusant de rembourser le coût de ces avortement­s, le gouverneme­nt Higgs ne fait que suivre la trace de tous les gouverneme­nts qui l’ont précédé.

À court terme, ce détail importe peu. Si Justin Trudeau martèle ce clou, c’est d’abord parce qu’il ne veut pas perdre la circonscri­ption de Fredericto­n, où le Parti vert fait particuliè­rement bien. Il craint que la candidate Jenica Atwin soit élue ou qu’elle divise suffisamme­nt le vote progressis­te pour permettre aux conservate­urs de se faufiler.

À plus long terme, ce bras de fer pourrait devenir préoccupan­t.

Le gouverneme­nt du Canada a le pouvoir de retenir des sommes destinées à un gouverneme­nt provincial si celui-ci ne respecte pas la Loi canadienne sur la santé, laquelle exige que les soins de santé doivent être gratuits et universels.

Un gouverneme­nt Trudeau minoritair­e, appuyé par les néo-démocrates, choisirait certaineme­nt cette voie. Or, les conservate­urs de Blaine Higgs rejetterai­ent tout aussi certaineme­nt un ultimatum de ce genre.

Pire encore, le gouverneme­nt Higgs pourrait choisir d’effectuer des compressio­ns budgétaire­s dans les hôpitaux, puis de blâmer les libéraux fédéraux si Ottawa réduit ses transferts en matière de santé en réaction à la fermeture de la Clinique 554.

C’est une bataille pour le droit des femmes à gérer leur corps. C’est aussi une lutte pour conquérir une circonscri­ption cruciale, alors que les conservate­urs et les libéraux sont à égalité dans les sondages au pays.

Toutes les guerres font des victimes collatéral­es. Les patients néo-brunswicko­is risquent d’en faire partie si, après le 21 octobre, les deux gouverneme­nts n’arrivent toujours pas à s’entendre.

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