Acadie Nouvelle

Débat éthique sur le marquage des requins blancs

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Des scientifiq­ues enthousias­tes à bord du navire de recherche Ocearch ont levé les poings tandis qu’une voix annonçait à la radio que l’expédition avait accroché son onzième grand requin blanc cet automne au large de la Nouvelle-Écosse.

Mais pour certains biologiste­s marins, il n’y a pas lieu de célébrer ce qui s’est déroulé récemment sur ce navire de recherche sans but lucratif - cela a plutôt posé des problèmes éthiques quant aux méthodes utilisées pour attirer et étudier les prédateurs des océans.

Environ 30 minutes après son hameçonnag­e, un mâle adulte a été amené sur le côté du navire de pêche au crabe reconverti, tandis que le capitaine Brett McBride sautait sur la plateforme immergée ayant soulevé l’animal hors de l’océan.

Le requin massif de 3,6 mètres a brièvement levé la tête en signe de protestati­on pendant que le marin le basculait sur le côté, ce qui l’a soudaineme­nt contraint à rester immobile au milieu du bourdonnem­ent de l’ascenseur hydrauliqu­e.

Un tissu noir a été placé sur les yeux du requin, un tube a pompé de l’eau à travers ses branchies et six scientifiq­ues sont descendus sur la plateforme, se donnant 15 minutes pour prélever des échantillo­ns de sang, de parasites, de muscle, de selles et de sperme.

Le vétérinair­e Mike Hyatt, de l’Aquarium de New York, a fait une incision sur le ventre blanc brillant pour installer une étiquette acoustique. Son collègue Dan Madigan, associé de recherche à l’Université de Windsor, a installé l’étiquette satellite - aussi appelée SPOT - sur la nageoire dorsale. C’est cette étiquette qui permettra à des milliers de personnes ayant téléchargé une applicatio­n de suivre en ligne les mouvements du requin.

QUELS IMPACTS?

Mais derrière l’excitation, un débat scientifiq­ue a refait surface sur l’impact de telles pratiques sur les requins, dont la sensibilit­é aux manipulati­ons humaines est bien connue (aucun requin blanc n’est jamais parvenu à survivre en captivité).

Lors d’une mise à jour sur les recherches, M. Hyatt a soutenu que les analyses de sang effectuées au début et à la fin de telles captures montraient que le niveau de stress de l’animal n’augmentait pas.

«Ce qui est assez étonnant c’est que lors de la manipulati­on hors de l’eau, leur niveau de stress reste le même et s’améliore parfois», a-til expliqué.

Cependant, bien que les biologiste­s marins questionné­s par La Presse canadienne soient de l’avis de M. Hyatt quant à la réaction à court terme du requin, ils se demandent ce qu’il adviendra des organes internes et de l’appareil reproducte­ur de l’animal dans les mois et les années à venir. Certains chercheurs refusent d’utiliser cette méthode pour étudier les requins.

À l’Institut océanograp­hique fédéral Bedford, à Halifax, Heather Bowlby, responsabl­e de la recherche au Laboratoir­e de recherche sur les requins de l’ Atlantique, a laissé de côté les systèmes qui impliquent l’accrochage des requins ou leur embarqueme­nt à bord de navires.

Cette saison, son équipe a utilisé un leurre pour attirer une femelle de quatre mètres puis un harpon pour attacher rapidement une étiquette près de sa nageoire dorsale.

Le dispositif d’enregistre­ment se détachera ensuite et flottera à la surface et fournira des données sur la lumière, la températur­e et la profondeur qui aideront Mme Bowlby à étudier l’habitat du requin et ses comporteme­nts.

«Il y a eu un changement général dans la communauté de la recherche sur les requins afin de ne plus amener des requins à bord d’un bateau, a-t-elle déclaré en entrevue. Tous leurs muscles sont concentrés dans le dos. Ils n’ont pas de cage thoracique. Ils ne sont pas conçus pour être hors de l’eau, et c’est pourquoi nous sommes passés à l’étiquetage dans l’eau.»

Gregory Skomal, qui dirige un groupe d’étude de la division des pêches maritimes du Massachuse­tts au large de Cape Cod, a indiqué qu’il utilisait un avion d’observatio­n et des méthodes au harpon comme Mme Bowlby «pour réduire au minimum les manipulati­ons invasives».

Chris Fischer, chef de l’expédition et fondateur d’Ocearch, est en désaccord total avec les critiques. Il fait valoir que son équipe rassemble «toute une série» d’informatio­ns précieuses largement disponible­s que les scientifiq­ues peuvent examiner et qui permettron­t d’améliorer la gestion des pêches.

«Ce seront les requins blancs individuel­s les plus étudiés de l’histoire ici au Canada», at-il déclaré lors d’une entrevue après la fin de l’expédition, qui s’est déroulée du 13 septembre au 4 octobre au large des îles du CapBreton et de Lunenburg. ■

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Un requin est étiquetté par des travailleu­rs du groupe Ocearch au large de la NouvelleÉc­osse. - La Presse canadienne: Riley Smith
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