J’ai honte de ma génération
Cyrille Sippley Saint-Louis-de-Kent
Je souhaite que le vendredi 27 septembre 2019 soit inscrit dans l’histoire de l’humanité comme marquant le début d’un revirement majeur dans l’attitude des humains vis-à-vis le réchauffement climatique. Et ce sont les jeunes qui l’auront initié, se rendant à l’évidence qu’ils ne pouvaient pas compter sur les adultes pour le faire. Ces derniers, anesthésiés par leur opulence, étaient devenus incapables de penser aux générations à venir. L’histoire de leurs promesses trompeuses dans le cadre de multiples ententes internationales et de leurs minables efforts subséquents en constitue un témoignage éloquent.
Il faut reconnaître que l’une des causes majeures du réchauffement de la planète est le mode de vie des gens dans les pays dits développés. La consommation étant à la base de nos systèmes économiques mondiaux, les citoyens, depuis des générations, sont incités à consommer toujours davantage. Appuyée par la publicité, l’industrie s’évertue à inventer une multiplicité de biens de piètre qualité afin d’amener le consommateur à jeter et acheter plus souvent, d’où un recours croissant aux énergies fossiles afférentes à la production et au transport, accélérant ainsi le réchauffement climatique.
La surconsommation s’étend aussi au domaine des services publics, amenant les gouvernements à y investir toujours davantage. Prenons comme exemple la situation au Canada où la dette nationale s’accroît constamment depuis plus de 10 ans. Un déficit de 52 milliards $ au cours des trois dernières années a porté cette dette accumulée à 686 milliards $, soit environ 18 500$ par habitant. Les frais financiers de la dette étaient de l’ordre 22 milliards $ pour l’année 2018-2019.
On avait voté, en 2015, une loi qui obligeait à respecter l’équilibre budgétaire, mais cette loi a été abolie l’année suivante.
À travers le monde, les Canadiens comptent parmi ceux qui laissent la plus importante empreinte sur le changement climatique. Les voyages-loisir sont à la mode, mais peu de gens se soucient de leur impact environnemental. En plus de contribuer pour 6.5 milliards $ annuellement à l’économie de la Floride durant leurs séjours d’hiver dans cet État, les Canadiens ont effectué quelque 6 millions de voyages à l’étranger en 2018.
Qui dit surconsommation dit dilapidation des ressources. L’énergie pour la production des biens consommés étant majoritairement d’origine fossile, le réchauffement climatique en est rendu à un point critique.
On aurait cru que les cris d’alarme des scientifiques depuis une trentaine d’années - rappelons le rapport Brundtland de la Commission mondiale sur l’environnement en 1987 - auraient suscité un changement radical dans la conscience des humains et les auraient amenés à modifier leur mode de consommation. Mais il n’en est rien. Les gros véhicules n’ont jamais été autant en demande. Moins du quart des conducteurs du monde songent sérieusement à se munir d’une voiture électrique dans un avenir prévisible. Selon un sondage, une forte majorité d’Américains affirmeraient ne pas être prêts à changer substantiellement leur mode de consommation pour sauver la planète.
Quelle belle leçon la jeune génération est en train de donner au reste du monde! Allons-nous les laisser tomber? Déjà, les magnats de l’industrie pétrolière dénoncent ce mouvement en le qualifiant de manifestation émotionnelle non réaliste. Et je prédis que les leaders gouvernementaux, même ceux qui se sont montrés solidaires durant la journée du 28, passeront rapidement à leurs préoccupations d’expansion économique d’antan en se déplaçant dans leur jet privé, choisissant de fermer les yeux sur la fonte des glaciers, la détérioration des océans et la disparition des espèces partout sur le globe.
Et moi, comme individu, est-ce que je me préoccupe de mon impact écologique quand je renouvelle ma garde-robe ou que je change de véhicule, quand je fais un voyage en voiture ou en avion ou que je pars en croisière, que je fais de longues randonnées en véhicule tout-terrain ou en motoneige, que je mange de la viande bovine, que je jette parmi les déchets les matières recyclables ou compostables, que j’arrose de pesticides mon gazon, mon jardin ou mes arbres, que je laisse les lumières allumées inutilement dans la maison ou que je fais bouillir trois tasses d’eau pour me préparer une tasse de café?
J’ai honte de ma génération. J’ai honte de notre ignorance et de notre inconscience, de l’égoïsme individuel et collectif qui nous pousse à nous faire sourds et aveugles aux constats de la science, à nier l’évidence afin de ne pas abandonner nos pratiques de consommation exterminatrices honteuses, à continuer, librement et volontairement, à dilapider les ressources non renouvelables de nos enfants et de nos petits-enfants, à rendre leur planète invivable, à mettre à risque la pérennité même de l’humanité.
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