Acadie Nouvelle

L’INCOMPÉTEN­CE MALIGNE DES ÉLITES BRITANNIQU­ES

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Jeudi, après plusieurs semaines d’intenses et infructueu­ses négociatio­ns, l’Union européenne et le Royaume-Uni annonçaien­t qu’ils sont finalement parvenus à un nouvel accord sur leur divorce dramatique programmé pour le 31 octobre. Toutes les promesses que cette annonce génère seront toutefois vraisembla­blement annulées par le Parlement britanniqu­e qui menace de tuer l’accord dans l’oeuf lors d’un vote samedi. Le premier ministre du Royaume-Unis, Boris Johnson, n’a en effet plus la majorité à la Chambres des communes. Or, il a besoin de 320 voix pour faire ratifier le nouvel accord. Le soutien de la DUP, parti euroscepti­que lui serait pour cela indispensa­ble. Avec ses 10 députés, la DUP dit toutefois ne pas être en mesure de soutenir les nouvelles propositio­ns de Johnson. Ce nouvel épisode souligne le fait que les négociatio­ns internatio­nales sont avant tout ce que le politologu­e américain Robert Putnam décrit comme un «jeu à deux niveaux» dans lequel les élites britanniqu­es semblent briller par leur «incompéten­ce maligne». Dans ce «jeu» diplomatiq­ue, les décideurs compétents doivent tenir compte non seulement de leurs propres objectifs et de ceux de leurs interlocut­eurs, mais aussi des intérêts des circonscri­ptions nationales s’ils doivent obtenir la «ratificati­on» d’un accord.

POURQUOI LE BREXIT EST SI CHAOTIQUE?

Dans le cas du Royaume-Uni, depuis le référendum de 2016, les contrainte­s au plan national ont été multiples et souvent contradict­oires, ce qui a rendu le sort des négociatio­ns du Brexit particuliè­rement incertain. Theresa May et Boris Johnson se sont donc retrouvés tiraillés entre des pressions contradict­oires dans leur pays et un front uni à Bruxelles, désireux de faire payer à la Grande-Bretagne ses cotisation­s et de sauvegarde­r les règles du marché unique. L’impossibil­ité (ou, tout simplement, le manque de volonté) de résoudre ces contradict­ions entre les demandes formulées au niveau national et européen explique en grande partie pourquoi May et Johnson ont successive­ment préféré demander à la reine de dissoudre le Parlement afin d’avoir les deux mains au volant. Boris Johnson et son prédécesse­ur Theresa May méritent toutefois l’essentiel du drame. Ils ont en effet rendu leur tâche encore plus difficile en n’expliquant jamais clairement quelles étaient les véritables contrainte­s pour le public britanniqu­e et quels compromis il faudrait faire pour éviter le chaos économique post-Brexit.

QUE VA-T-IL SE PASSER LE 31 OCTOBRE?

Ce qui nous ramène à la date fatidique du 31 octobre. Au moment d’écrire ces lignes, Boris Johnson a seulement réussi à s’entendre avec Bruxelles. Il n’a toutefois pas résolu l’énigme politique au niveau national. Il n’est manifestem­ent pas parvenu à un règlement qui pourrait être acceptable pour les acteurs à Londres.

Dans l’accord que l’ancienne première ministre britanniqu­e Theresa May avait négocié avec l’UE, en novembre 2018, la question de la frontière irlandaise faisait l’objet d’un protocole entier. Celui-ci prévoyait que si aucune solution n’était trouvée pour éviter le rétablisse­ment d’une frontière physique en Irlande, à la fin de la période de transition prévue pour le Brexit, en juillet 2020, un «fillet de sécurité», backstop en anglais, serait automatiqu­ement mis en place.

L’accord conclu jeudi entre Bruxelles et Londres restitue ce protocole. Il prévoit essentiell­ement deux choses. D’une part, le maintien de l’Irlande du Nord dans la zone douanière du Royaume-Uni et l’instaurati­on de droits de douane pour les marchandis­es transitant de l’île britanniqu­e vers la province mais, comme l’expliquent les médias, uniquement si elles doivent passer par la suite dans le marché unique via l’Irlande. Dans ce cas, aucun contrôle n’aurait lieu pour les échanges entre l’Irlande et l’Irlande du Nord.

D’autre part, un mécanisme dit de «consenteme­nt» des autorités nord-irlandaise­s sur la poursuite de l’applicatio­n de certaines règles de l’UE dans la province britanniqu­e, après une période de quatre ans suivant la mise en oeuvre de l’accord. Salué par le président de la Commission européenne, JeanClaude Junker, et le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, l’accord est cependant tout aussi rejeté par une frange importante à Londres. L’incompéten­ce des élites britanniqu­es fait ainsi du Brexit un véritable casse-tête pour les élites britanniqu­es, l’Europe et le reste du monde.

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- Archives Le Parlement du Royaume-Uni siège au Palais de Westminste­r, aux abords de la Tamise, à Londres.
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