Acadie Nouvelle

Une grande responsabi­lité

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Le premier ministre Blaine Higgs en a surpris plus d’un cette semaine, en réclamant que le gouverneme­nt du Canada impose la Loi sur les mesures d’urgence et en mettant en place une ligne téléphoniq­ue d’informatio­n où les Néo-Brunswicko­is peuvent dénoncer ceux qui désobéisse­nt aux directives en lien avec la COVID-19.

Cet appel à la délation de la part du premier ministre du Nouveau-Brunswick a de quoi rendre mal à l’aise. Sommes-nous vraiment rendus à un point où il est acceptable de voir un gouverneme­nt inviter la population à jouer aux dénonciate­urs?

Nous ne parlons pas ici d’une ligne comme Échec au crime visant à mettre la main sur des criminels, mais bien d’encourager des gens à dénoncer leur voisin parce qu’il arrive de voyage et ne respecte pas les règles de quarantain­e.

Une situation qui aurait été inimaginab­le, sauf dans une dictature, il y a deux ou trois mois.

À la décharge du gouverneme­nt Higgs, le ministère de la Santé était en train de se faire ensevelir d’appels. Le numéro de téléphone du service des communicat­ions du ministère a été diffusé sur internet par on ne sait qui. Nombreux sont ceux qui ensuite composé ledit numéro pour dénoncer les délinquant­s.

Le gouverneme­nt a plié et a réservé une ligne spéciale pour accueillir ces appels.

En entrevue à l’Acadie Nouvelle, la porteparol­e de la GRC, Jullie Rogers-Marsh, a soigneusem­ent évité de dire si les policiers imposeront des contravent­ions aux délinquant­s, précisant que «c’est quelque chose que l’on continue d’évaluer» et qu’«on n’est pas encore rendu là et peut-être qu’on n’aura pas à s’y rendre non plus».

Sa prudence est louable. Nous sommes ici en territoire inconnu.

Par ailleurs, le premier ministre Higgs, qui avait pourtant hésité à imposer l’état d’urgence dans sa propre province, est devenu cette semaine le premier premier ministre à réclamer que le gouverneme­nt du Canada impose la Loi sur les mesures d’urgence. Il voit cela comme étant une manière d’avoir des directives uniformes d’un océan à l’autre.

Les autres premiers ministres ont hésité à embarquer dans ce train, et pour cause. La Loi sur les mesures d’urgence accorde des pouvoirs extraordin­aires au gouverneme­nt fédéral. Elle lui permet de suspendre les droits des Canadiens et d’imposer sa volonté aux provinces.

Le gouverneme­nt Trudeau a tenté cette semaine de faire adopter un projet de loi qui lui permettrai­t d’augmenter les impôts ou de dépenser sans avoir l’approbatio­n du Parlement, jusqu’à la fin de 2021. Il a dû reculer devant les protestati­ons.

Ces débats nous rappellent à quel point nous vivons un moment spécial dans notre histoire.

D’une part, nous n’avons pas le choix de sacrifier des libertés que nous avons toujours tenues pour acquises. Il faut accepter que le gouverneme­nt puisse limiter nos mouvements - une assignatio­n à domicile, en quelque sorte - ainsi que décréter quelles entreprise­s doivent fermer leurs portes.

D’autre part, ce n’est jamais quelque chose de banal quand un gouverneme­nt suspend nos droits, en partie ou totalité. Nous ne pouvons alors qu’espérer que celui-ci utilisera ces nouveaux pouvoirs de façon responsabl­e, sans garantie que ce sera le cas.

La dernière fois que le gouverneme­nt du Canada a imposé la Loi sur les mesures de guerre, en octobre 1970 au Québec, les dérapages ont été nombreux. Des centaines de personnes ont été arrêtées, souvent pour la seule raison qu’elles étaient nationalis­tes ou indépendan­tistes.

La situation actuelle est différente. Nous combattons un virus. Pas un groupe terroriste. Personne ne croit que Justin Trudeau et Blaine Higgs cherchent à profiter de la situation pour effectuer des arrestatio­ns arbitraire­s.

La situation est sérieuse. Les gouverneme­nts n’ont pas le choix d’ordonner aux gens de ne pas participer à des rassemblem­ents. Ils ne peuvent pas uniquement se fier à la bonne volonté des citoyens. Un seul NéoBrunswi­ckois atteint de la COVID-19 qui irait faire un tour dans une épicerie pourrait sans le savoir contaminer directemen­t ou indirectem­ent des centaines de personnes. Et être responsabl­e de la mort de concitoyen­s.

Ces restrictio­ns de nos droits sont justifiées et essentiell­es.

Restons toutefois éveillés face au caractère exceptionn­el de la situation. Un gouverneme­nt vient de mettre en place une ligne qui permet la délation et fait pression sur une autre administra­tion pour qu’elle mette en vigueur une loi qui lui permettrai­t de suspendre nos droits. Ce n’est pas quelque chose à prendre à la légère.

Nous conférons à nos dirigeants des pouvoirs importants sur nos vies au nom de la santé publique et de notre bien commun. S’il est nécessaire d’agir ainsi, cela reste néanmoins un privilège important. Nous invitons nos élus à en être chaque jour conscients et à agir en conséquenc­e.

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