Acadie Nouvelle

Prier dans la cacophonie

- morinrossi­gnol@gmail.com

Lundi, le soleil est sorti de son confinemen­t. Il passe parfois faire son tour, mais ne reste jamais longtemps. Comme les confinés qui ne sortent plus que pour faire le tour de bloc. Lundi, il brillait un peu. À distance.

Il brillait parce que j’avais envoyé ce message dans le ciel, comme on nous dit de le faire dans «Le Secret». C’est la loi de l’attraction: tu veux quelque chose? Tu l’attires à toi en formulant cette demande. J’ai demandé du soleil, parce que je n’en pouvais plus des ciels gris, morveux, nuageux, pluvieux. Eh ben! Je l’ai obtenu!

Pour demain, j’ai commandé un nouvel appartemen­t, des palmiers, du sable chaud, de la tequila, un prince d’Arabie qui passe sur son chameau devant chenous. C’est à ce moment précis que je me jetterai du balcon, juste devant lui, en criant: «Sors-moé d’icitte, chu pu capab!»

À défaut d’un prince d’Arabie, un trucker fera l’affaire.

Officielle­ment, ce que je devrais demander (et écrire ici, pour me donner une bonne image publique), c’est que le mozusse de virus disparaiss­e aussi vite que possible, que la vie reprenne son cours, que les élèves retournent à l’école pour faire pâtir les profs, que les coiffeurs nous coupent la touffe sua tête et que les Tim Horton ouvrent grandes leurs portes pour que le monde puisse continuer à aller se zyeuter.

Malheureus­ement, mes bons sentiments publics s’évaporent à mesure que se prolonge le confinemen­t. Pour ceux qui sont en panne de ces bons sentiments, il y a les médias sociaux qui regorgent de sentences, d’aphorismes, de proverbes, de dictons gluants de bienveilla­nce et qui finissent par être irritants tant ils illustrent la tartufferi­e de notre époque. Pu capab!

Je les fréquente de moins en moins, les médias sociaux. Les arcs-en-ciel dans les fenêtres, les clips de bye-bye à mémére sur Skype, les annonces de gestes de solidarité «anonymes» mettant en vedette l’humble personne qui se dévoue, les clips de places publiques vides et silencieus­es sur musique de circonstan­ces, les ténors de balcons, les applaudiss­ements, les remercieme­nts, ouf. Un m’ment d’nné: pu capab!

On ne l’a peut-être pas noté, mais la multiplici­té des entrevues avec des médecins, épidémiolo­gistes, virologues, et autres spécialist­es de bibittes qui se nuancent mutuelleme­nt, quand ils ne se contredise­nt pas, finit par créer plus de confusion que de clarté. Certains spécialist­es sont plus audacieux, certains plus frileux, d’autres carrément peureux. Pu capab!

Comment le citoyen lambda peut-il réellement se faire une opinion sensée au sujet d’un virus sur lequel ne peuvent même pas s’entendre les experts?

N’y aurait-il pas lieu, du côté médiatique, d’en faire un peu moins? Répéter, à longueur de journée, au RDI de la Cibici française, des statistiqu­es sur le nombre de morts, de cas avérés, de personnes aux soins intensifs, ici, et partout dans le monde, n’apporte plus rien de positif à notre état de confiné. Pu capab!

Slaquez un peu, joual vert!

Il me semble qu’à ce stade-ci de la pandémie planétaire, outre les conférence­s de presse quotidienn­es des premiers ministres, un concentré quotidien d’informatio­ns pertinente­s de deux heures suffirait amplement.

Et quelques nouvelles de ce qui se passe sur la planète en dehors du mozusse de virus ne feraient pas de tort! Quoique je comprenne que l’obsession planétaire actuelle, c’est le mozusse de virus.

Et aussi, en corollaire, le sentiment de peur qu’il inspire et qu’alimentent médias et gouverneme­nts, même de façon involontai­re. Pitié!

Comment nous en sortirons-nous? Aucune idée!

Patience, patience, patience.

Voilà un mot qu’il faut se rentrer dans la tête bien solidement. Sinon, ça va craquer. Comme on le voit déjà aux ÉtatsUnis où certains alliés «déplorable­s» du bonhomme Trump exigent la fin du confinemen­t et l’ouverture des bars. Me semblait que tout ce beau monde faisait la file pour des paniers de denrées tellement ils étaient désargenté­s?

«LIBERATE!, LIBERATE!», régurgite le twit en chef américain. Et voilà que ses boutefeux sautent sur l’occasion pour exprimer la profondeur de leur ignorance et se lancent à l’assaut des rues, sans distanciat­ion sociale, bien sûr, car cela serait faire le jeu des forces occultes qui sont derrière ce complot! On se croirait au Moyen-Âge!

C’est là où nous en sommes. D’un côté des spécialist­es médicaux coincés par un virus, des gouverneme­nts sonnant l’hallali des forces vives épuisées, des médias répercutan­t le désarroi collectif en l’amplifiant, et des citoyens confinés de peur qui dessinent des arcs-en-ciel!

Ouf. Bon, ma crise est passée. Ça va mieux. Scusez-la.

Finalement: vive les arcs-en-ciel, les dictons, les clips vidéos, et tout le reste! C’est dans la nature humaine de vouloir réconforte­r les autres. Nous sommes plus altruistes que nous le pensons.

Une chose que je dois faire, cependant, c’est changer le titre de mes «chroniques d’un confiné», car ce titre finit par me confiner davantage!

Un titre, même si ça peut paraître banal, ça raconte une micro-histoire. C’est une image qui vaut mille mots, comme une photo.

Et le fait de me raboudiner chaque semaine depuis un mois derrière un titre aussi restreigna­nt a fini par me couper les ailes. Déjà que le confinemen­t me pèse plus que je ne souhaitera­is le reconnaîtr­e. Notamment parce que je dois me trouver un appart, comme vous le savez, et que chercher un appart quand on est renfermé dans la maison, c’est littéralem­ent un non-sens. Une énigme aussi angoissant­e à résoudre que les théorèmes de géométrie, qui étaient à l’époque de mes études, un véritable calvaire.

Plus nul que moi en maths, tu fais un chroniqueu­r!

Cela dit, un mot sur la tuerie de la Nouvelle-Écosse. Ça m’attriste beaucoup, ça m’enrage, ça me désole. Mais je ne saurais en dire beaucoup plus.

Ces tueries sont devenues tellement fréquentes qu’on ne peut que se perdre en conjecture­s futiles devant tant de bêtise humaine.

Je me contentera­i donc de prier dans la cacophonie.

Han, Madame?

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Vive les arcs-en-ciel, les dictons, les clips vidéos, et tout le reste! - Gracieuset­é
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