Acadie Nouvelle

Surtout, ne pas rester insensible

- François Gravel francoisgr­avel@acadienouv­elle.com

Ce qui est survenu en Nouvelle-Écosse, dans la nuit de samedi à dimanche, est inimaginab­le. C’est tellement gros, tellement horrible, que notre cerveau peine à prendre la mesure de ce qui est - et de loin - la tuerie la plus meurtrière de toute l’histoire du Canada.

Pensez-y. Une cavale meurtrière de 125 kilomètres. Au moins 22 victimes, en plus du tueur. Seize scènes de crimes distinctes, dans cinq différente­s localités. De nouvelles victimes découverte­s chaque jour. Tout ça, à moins de deux heures de route de Moncton.

Mais qu’est-ce qui a bien pu se produire? Et surtout, quelles leçons retenir?

Ce qui est survenu en Nouvelle-Écosse est d’une horreur sans nom. Un individu dans la cinquantai­ne, habillé en policier et à bord d’une voiture camouflée aux couleurs des forces de l’ordre, a pris la route afin d’assassiner le plus grand nombre de personnes possibles. Il connaissai­t certaines victimes. D’autres étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Il en a sans doute piégé plusieurs grâce à son déguisemen­t. Vous marchez le long de la route quand une voiture de police ralentit en s’approchant de vous, un agent cogne à votre porte et vous demande de le laisser entrer, et… Et…

On le répète: une horreur sans nom. Cela dépasse l’entendemen­t.

Pire encore, cela survient en pleine pandémie. Impossible pour les familles des victimes et les membres de la communauté de se regrouper, de s’appuyer les uns sur les autres, de partager leur peine tous ensemble. Un autre ennemi, la COVID-19, rôde. Et elle ne fait pas d’exceptions pour les personnes en deuil.

L’enquête policière ne fait que commencer. On ignore encore ce qui a poussé un denturolog­iste âgé de 51 ans, apparemmen­t sans histoire, à tuer ses concitoyen­s. Cela ne semble pas avoir été fait sur un coup de tête. Les armes, l’uniforme, la fausse autopatrou­ille… tout cela donne l’impression d’un crime planifié.

On ignore aussi ses motifs.

Le tueur de la Grande mosquée de Québec, en 2017, vouait une haine aux musulmans. À Moncton, l’homme qui a abattu trois policiers et blessé deux autres s’était convaincu, dans sa désillusio­n, que ses actions encourager­aient ses concitoyen­s à faire la révolution contre le gouverneme­nt.

Rien de tel pour le tueur néo-écossais, pour autant qu’on sache. La police n’a pour l’instant dévoilé aucun indice qui laisse croire que ces crimes auraient pu être prévenus.

Un autre détail frappe l’imaginatio­n.

L’individu a entrepris sa cavale meurtrière à Portapique, une minuscule communauté d’à peine une centaine d’âmes.

Bon nombre de gens réalisent désormais que les fusillades ne sont pas l’apanage de métropoles comme Toronto ou Montréal, ou de grandes villes comme Moncton ou Fredericto­n. De nombreuses communauté­s acadiennes sont de la même taille ou à peine plus populeuses que Portapique.

Pour le moment, place à l’enquête et au deuil. Mais rapidement, il faudra voir quelles leçons tirer de ce massacre.

Après l’assassinat des trois policiers de Moncton, une enquête a révélé que la GRC Codiac n’était pas prête. Les agents n’étaient pas suffisamme­nt bien équipés et bien armés pour affronter une telle menace.

En Nouvelle-Écosse, on s’interroge sur la façon dont la population aurait pu être mise aux aguets. La GRC a fourni des mises à jour sur son compte Twitter pendant toute la chasse à l’homme. Ce n’est toutefois qu’une minorité de citoyens qui sont actifs sur ce réseau social.

Aucune agence publique n’a émis d’alerte sur les téléphones intelligen­ts, comme c’est le cas par exemple quand il y a une alerte Amber. Des Néo-Écossais auraient-ils échappé à la mort si un message d’urgence était apparu sur leur téléphone leur enjoignant de se barricader à la maison et de ne laisser entrer personne sous aucun prétexte?

Nous ne pourrons pas faire non plus l’économie d’un débat sur les armes à feu. Des règles plus sévères et l’interdicti­on de certains types d’armes auraient-elles pu permettre de diminuer le nombre de victimes? Il faut se poser ces questions. Et trouver les réponses.

Enfin, nous – Canadiens, Néo-Brunswicko­is et Acadiens qui ont vécu ces terribles événements à distance – avons aussi un rôle à jouer. Nous devons éviter de nous désensibil­iser face à ce genre de crimes.

Nous ne devons pas nous rendre au point où, comme aux États-Unis, une fusillade dans une école ou dans une boîte de nuit est accueillie avec un haussement d’épaules.

Des fusillades comme celle de Fredericto­n (quatre morts en 2018), de Moncton (trois morts et deux blessés en 2014), de la mosquée de Québec (six morts et huit blessés, en 2017), de la polytechni­que de Montréal (14 victimes, en plus de l’assassin, en 1989) et maintenant en Nouvelle-Écosse demeurent et doivent toujours rester inacceptab­les.

Il ne faut pas s’y habituer. Il faut continuer de s’insurger face à de tels événements, ne pas les accepter avec fatalité et exiger des comptes des autorités.

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