Acadie Nouvelle

L’existence en papier

- scomo@nbnet.nb.ca

Ça devait être un autre dimanche de réjouissan­ce. Huit jours après la résurrecti­on, le 2e dimanche de Pâques a une tonalité de joie. En mode majeure. Avant d’être appelé «dimanche de la miséricord­e», c’était le dimanche de la Quasimodo, ou encore «in albis», celui de la joie des baptisés de Pâques.

La célébratio­n a été belle chez moi. Même si la part manquante de la communauté provoque un grand vide. Au sortir de l’église, un paroissien passe en bicyclette dans la cour et me promet des coques pour bientôt. Il me demande de prier pour ce qui se passe en Nouvelle-Écosse. Je pense à la COVID-19 qui frappe fort làbas. Je rentre pour dîner en solitaire. En communion avec les malades et les résidents dans leurs chambres.

Après le dîner, j’apprends la mort de Claude Lafortune. Pour la première fois depuis le début de la pandémie, je peux mettre un visage connu sur une des victimes. La crise n’est plus impersonne­lle. Elle n’est pas seulement en Chine, mais elle touche quelqu’un qui entrait dans le salon de la maison chaque dimanche matin de mon enfance. Plein de souvenirs remontent.

Je suis de cette génération qui a grandi avec deux denrées qui se font rares de nos jours: l’évangile et le papier. La Bonne Nouvelle et le bricolage avaient trouvé un moyen de faire bon ménage. Aujourd’hui, on a beau saturer le monde virtuel de liturgies et de capsules religieuse­s, c’est une fréquentat­ion qui ne fait que commencer et qui demande à s’affermir.

Pendant des années, M. Lafortune avait l’habitude de réveiller les enfants avec ses créations les dimanches matins. Cette année, c’est au matin du premier jour de la semaine que lui-même s’est endormi dans l’espérance de rouvrir les yeux sur une nouvelle création. Plus belle. Éternelle.

M. Lafortune dessinait les évangiles et savait manier le papier pour donner vie à des personnage­s. Il disait que son médium était si éphémère que ses oeuvres ne lui survivraie­nt pas. C’est peut-être là que se trouve la beauté de son oeuvre: dans sa fragilité. Tout comme ce qu’il a voulu illustrer.

Comme le papier, l’évangile est fragile. Il peut être froissé par des mains malhabiles. Il peut être piétiné et traîné dans la boue, mais il peut aussi prendre des formes et des couleurs qui viennent embellir un quotidien morne et inquiétant. Lorsqu’il passe par des mains créatives et des coeurs ouverts, l’évangile est un prisme capable de faire jaillir les couleurs de l’arc-en-ciel.

Un peu plus tard, ce même jour, j’apprends la terrible nouvelle de ces villages néo-écossais éprouvés par un homme qui a laissé derrière lui des victimes, des pleurs, de l’angoisse et des questions. À lui seul, il a été l’auteur de 16 scènes de crime. Des stations d’un chemin de croix devant lesquels on ne peut que garder silence… et prier.

Depuis, les médias dénombrent les victimes. Et racontent leurs histoires. Ils parlent moins du tireur, ne voulant pas lui donner l’importance (et c’est bien ainsi!). Pourtant, chacun cherche à comprendre les motifs de cet homme.

Si nous avions des réponses claires et précises pour tout saisir, ça comblerait un vide qui nous fait peur. Personne n’aime vivre avec ce vide intérieur. Pourtant, c’est peut-être dans cet espace que nous pouvons apprivoise­r une part essentiell­e de nos vies: le mystère du mal. Aucune explicatio­n ne pourra satisfaire complèteme­nt notre besoin de comprendre son origine. Le mieux à faire: ne pas le confiner, mais parler avec d’autres sur ce qui nous empêche d’être heureux.

Au cours des dernières semaines, on nous a dit que nos vies étaient menacées par un virus infime qui avait la capacité de faire mourir beaucoup de monde. Surtout les personnes âgées. Alors, on s’est mis à prendre soin d’eux. Ne pouvant plus les visiter dans les résidences, les enfants et leurs parents sont allés aux fenêtres avec des pancartes dire à leurs grands-parents: «Nous vous aimons. Hâte de vous revoir... Ça va bien aller!»

Les événements de dimanche dernier révèlent la fragilité de toute vie. Notre finitude humaine nous rend vulnérable­s à la mort. Il n’y a pas qu’un virus pour tout faire basculer. Il y peut aussi y avoir un accident, qu’il soit vasculaire cérébral, routier ou maritime. Il y a aussi la cruauté humaine. Il n’est pas nécessaire d’attendre d’autres conditions pour réaliser la valeur de ceux et celles qui nous entourent. C’est le temps de leur dire: «Je t’aime. Tu es précieux pour moi. Je veux t’aider.»

La vie est un don. Comme l’évangile. Aussi fragile que du papier. Elle peut être froissée, piétinée, meurtrie. C’est la couleur du papier de la vie ces jours-ci. J’espère tout de même, malgré la timidité d’un printemps gris, que nous trouverons des forces pour donner à nos vies de papier des formes qui leur permettron­t de prendre leur envol et s’élancer vers la vie. La grande vie!

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- Gracieuset­é J’espère tout de même, malgré la timidité d’un printemps gris, que nous trouverons des forces pour donner à nos vies de papier des formes qui leur permettron­t de prendre leur envol et s’élancer vers la vie.
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