Il faut d’autres Bernard Imbeault
Peu d’Acadiens peuvent se targuer d’avoir été à la fois un pionnier, un bâtisseur et un géant du monde des affaires.
Avec le décès de Bernard Imbeault, le monde des affaires perd un géant. Il n’y a pas beaucoup de gens en Acadie qui méritent autant que lui d’être qualifié de bâtisseur.
Bernard Imbeault est décédé mardi. Il venait tout juste de célébrer ses 75 ans.
Bizarrement, son nom n’est pas particulièrement connu en Atlantique. Bien des gens seraient en peine de nommer le fondateur de la chaîne de restaurants Pizza Delight et qui a été surnommé le roi de la restauration.
Quand on pense aux affaires en Atlantique, les familles Irving, McCain et Sobeys nous viennent rapidement à l’esprit. Pas Bernard Imbeault. Pourtant, celui-ci était à un certain moment à la tête d’un empire qui comprenait plus de 250 restaurants. Quelque 10 000 personnes travaillaient pour lui, dans la plupart des provinces du Canada.
L’une des raisons est que M. Imbeault fuyait les projecteurs. Il n’accordait que très rarement des entrevues. Quand lui ou sa fondation faisait un don pour une bonne cause, il ne sentait pas le besoin de l’annoncer en conférence de presse. Il tirait sa fierté de ses succès dans le monde des affaires et de sa famille. Pas de la reconnaissance de la population à son égard.
Pourtant, M. Imbeault aurait mérité d’être mieux connu. Ce qu’il a accompli durant sa vie est tout bonnement phénoménal.
Il faut d’abord comprendre qu’il a fondé son empire à une époque où le travail des entrepreneurs n’était pas particulièrement valorisé, y compris par les gouvernements. Les programmes d’aide n’étaient pas ce qu’ils sont de nos jours.
Les Acadiens qui tiraient leur épingle du jeu à grande échelle étaient rares. Les plus grandes réussites étaient surtout le fruit d’efforts collectifs. Pensez par exemple aux caisses populaires acadiennes de même qu’à la société d’assurance Assomption Vie.
Bernard Imbeault est né en Gaspésie, mais il est un Acadien d’adoption.
Venu étudier à l’Université de Moncton afin notamment d’apprendre l’anglais, c’est à partir du Nouveau-Brunswick qu’il réalisera son rêve de fonder ses propres entreprises.
M. Imbeault voyait grand. Très grand.
Avec Pizza Delight, il est devenu l’un des premiers hommes d’affaires de l’Atlantique à devenir propriétaire de franchises.
Il y a eu des hauts et des bas. À la fin des années 1970, il a frôlé la faillite. Loin de se décourager, il a ensuite poursuivi sa stratégie de croissance. C’est ainsi qu’il a réussi au tournant de l’an 2000 son coup le plus spectaculaire: l’achat de la franchise Mikes, très populaire partout au Québec.
D’autres acquisitions suivront, notamment le conglomérat ontarien Afton Food Group, ce qui lui a permis en 2002 de devenir le numéro quatre au Canada derrière Tim Horton’s, McDonald’s et Burger King.
Pas mal pour un étudiant qui a eu besoin d’emprunter une mise de fond de 10 000$ de sa mère pour acheter le concept Pizza Delight en 1969.
On l’oublie aussi, mais les triomphes en affaires de Bernard Imbeault s’appuient sur les études. Ses succès ont bien sûr rejailli sur le département d’administration de l’Université de Moncton. Mais n’oublions pas qu’il disposait aussi de deux maîtrises en administration et d’un diplôme de l’École Nationale d’Administration de Paris.
«Le savoir-faire d’un franchiseur est avant tout la finance, l’immobilier, la gestion de marque et l’approvisionnement. Je ne vend pas de la pizza: je vends un cadre», avait-il confié au magazine L’actualité dans une entrevue il y a une dizaine d’années.
Avec l’âge et une santé déclinante, Bernard Imbeault a dû se résoudre à lâcher les rênes. En décembre 2017, ses entreprises, regroupées sous le nom de Groupe Restaurants Imvescor, ont été avalées par un autre géant, Groupe d’alimentation MTY. La transaction était évaluée à environ 250 millions $.
Bernard Imbeault n’est plus. Mais son souvenir est plus grand que les pizzerias qu’il laisse derrière lui dans des dizaines de communautés acadiennes, néo-brunswickoises et canadiennes.
Il a fait l’éclatante démonstration qu’il est possible pour un francophone d’avoir de l’ambition, même en région rurale, même dans une petite province pauvre comme le Nouveau-Brunswick.
Peu d’Acadiens peuvent se targuer d’avoir été à la fois un pionnier, un bâtisseur et un géant du monde des affaires. Bernard Imbeault a été tout ça et bien plus. Il a marqué l’histoire de l’Acadie.