LA CHUTE FINALE DE L’EMPIRE AMÉRICAIN?
Les États-Unis sont devenus depuis quelques semaines l’épicentre mondial de la pandémie du coronavirus. Le nombre de morts de la COVID-19 y a doublé au cours des deux dernières semaines, atteignant plus de 50 000, jeudi.
Bien que des États comme l’Utah, le Tennessee et la Géorgie s’activent à assouplir les restrictions qu’ils ont imposées dans le but de stimuler leurs économies «verrouillées», le nombre de nouveaux cas enregistrés quotidiennement n’a pas encore diminué. Les États-Unis en enregistrent en moyenne 25 000 par jour.
Le président Donald Trump est apparu de plus en plus incompétent à s’acquitter de ses responsabilités les plus élémentaires au niveau national. Il est aussi devenu une risée mondiale. Ses graves erreurs sont en train de coûter la vie à d’innombrables Américains. L’idée même du leadership mondial des États-Unis s’est aujourd’hui brutalement fracassée.
Dans un article remarqué publié cette semaine dans l’important hebdomadaire canadien Maclean’s, son auteur adressait un message clair à Ottawa, mais qui peut aussi être d’intérêt pour les élites dirigeantes du reste du monde: «Il serait prudent pour le gouvernement canadien d’évaluer le déclin continu des États-Unis comme une véritable option et ce que cela signifierait pour nos intérêts nationaux et mondiaux».
Celui qui l’écrit n’est pas n’importe qui. Sergio Marchi a été député et ministre canadien. Il a également été ambassadeur du Canada auprès de l’Organisation mondiale du commerce et des Agences des Nations Unies à Genève. Il a donc incontestablement fait partie du noyau dur de l’establishment diplomatique canadien et mondial. La question qu’il pose est fondamentale: « L’empire américain est-il en danger?» (Is the U.S. empire in jeopardy?). On connaît bien les habituelles objections soulevées à ce type de questions par les défenseurs zélés de Washington.
Les problèmes auxquels fait face actuellement la puissance américaine pourront facilement être résolus, car les États-Unis sont la plus grande économie de la planète, le seul pays avec une portée militaire réellement mondiale, de surcroît détenteur de la monnaie constituant la plus grande réserve du monde, et une nation avec une légendaire capacité à se réinventer au fil des générations.
Sauf que, l’hypothèse alternative est aussi permise. «Si Trump est réélu, il y a peu d’espoir de renouveau, qui a été une caractéristique de longue date de la société américaine», s’inquiète par exemple Marchi.
Avec quatre années de plus sous le règne de Trump, il croit que le système politique américain «atteindrait probablement de nouveaux creux impensables».
On ne peut pas dire que Justin Trudeau ne soit pas familier avec le thème récurrent du déclin américain. Dans un article publié en 2012, Trudeau soulignait la centralité de l’Asie pour l’économie canadienne. «Pendant une grande partie de notre histoire, notre relation commerciale avec les ÉtatsUnis était la seule qui fut vraiment importante», écrivait-il. Il estimait alors cette période révolue. Au XXIe siècle, «nous ne pouvons plus compter sur les États-Unis pour alimenter notre croissance», soutenait-il.
Il est aujourd’hui à la barre. Face à ces tendances inquiétantes et apparemment irréversibles de l’empire américain, comment réagit-il? Marchi trouve inspirant l’exemple de nombreux pays européens qui n’attendent pas et préparent déjà leurs propres plans d’urgence.
Le Canada pourrait faire de même. «Tranquillement mais délibérément, nos dirigeants politiques devraient évaluer ce changement en posant des questions difficiles, dans le but d’élaborer des options stratégiquement efficaces si elles sont nécessaires.»
Des actions diligentes seraient nécessaires dans plusieurs domaines cruciaux. Au plan économique, le Canada serait avisé d’ajuster sa stratégie commerciale mondiale et de commencer à s’inquiéter de la perte probable de millions d’emplois «qui sont étroitement liés à une Amérique forte», et de la fuite de milliards de dollars en investissements américains. Au plan géopolitique, le Canada est également invité à envisager de nouvelles relations stratégiques et alliances.
Dans un entretien-vidéo publié cette semaine sur le site du journal Globe and Mail, le célèbre universitaire et intellectuel Fareed Zakaria de CNN louangeait la réponse canadienne au COVID-19 et invitait Ottawa à exercer une influence positive sur les États-Unis. Trudeau reste silencieux. Pourra-t-il enfin être à la hauteur?