Acadie Nouvelle

L’influence indue du clivage rural-urbain sur les politiques publiques (2e partie)

- Jean-Guy Finn Fredericto­n

Pour qu’elle donne le maximum de résultats, la municipali­sation devra faire plus de place à la régionalis­ation. Une plus grande partie des infrastruc­tures et services municipaux provinciau­x devront être planifiés et livrés sur une base régionale. Les municipali­tés et le gouverneme­nt provincial devraient idéalement partager les mêmes cartes administra­tives.

Il y a essentiell­ement deux façons de remédier à la fragmentat­ion actuelle au niveau des collectivi­tés locales. La première consiste en la création de municipali­tés régionales sur l’ensemble du territoire. La seconde verrait à consolider les présentes entités de gouvernanc­e locale (municipali­tés et DSL) en une cinquantai­ne de municipali­tés qui seraient ensuite regroupées en une douzaine de régions de service. L’une ou l’autre de ces options améliorera­it grandement notre capacité de maintenir des services publics essentiels de qualité, de les livrer efficaceme­nt, et à des coûts plus abordables. L’idée centrale est de créer autant «d’entités géographiq­ues fonctionne­lles» que possible (municipali­tés et régions de services), celles-ci étant définies d’abord par leur intégratio­n socioécono­mique plutôt que par leurs frontières politiques.

Des 12 régions proposées, huit s’articulent autour des plus grands centres de population (partant de Fredericto­n et passant par Woodstock, Edmundston, Campbellto­n, Bathurst, Miramichi, Moncton/ Dieppe et Saint-Jean). Les population­s de ces centres et des localités situées dans un rayon de 50 km forment des entités fortement intégrées socioécono­miquement. Elles comptent pour plus de 85% de la population totale de la province. Les population­s vivant à l’intérieur de ce rayon de 50 km partagent un mode de vie urbain ou semi-urbain. Elles ont peu en commun avec le milieu rural.

Ceci veut dire que moins de 15% des Néo-Brunswicko­is affichent les caractéris­tiques d’une population plutôt rurale, vivant en milieux relativeme­nt isolés au plan géographiq­ue. Cet isolement ne se compare toutefois nullement à celui que vivent certaines collectivi­tés dans les provinces plus étendues géographiq­uement comme Terre-Neuve et Labrador, le Québec ou le Manitoba. Au Nouveau-Brunswick, en temps normal, aucune de ces population­s dites rurales n’est à plus d’une heure de route d’un centre de services.

On ne saurait trop insister sur l’importance de prendre en compte une telle configurat­ion démographi­que et de telles conditions socio-économique­s dans l’organisati­on des services publics. Notons que la vaste majorité de ceux et celles qui résident dans un rayon de 50 km des principaux centres de population ont l’habitude de se rendent dans la municipali­té centre pour la plupart des services, quand ce n’est pas pour y travailler. Ils/elles y ont aussi accès à tout un éventail de soins de santé, incluant des soins hospitalie­rs.

Les difficulté­s d’accès à des soins de santé de proximité se posent pour cette frange de la population, environ 15% (quelque 116 000 personnes), habitant au-delà de ce rayon de 50 km. Cette population se démarque par son éparpillem­ent géographiq­ue. Elle ne mérite pourtant pas moins un accès aux soins essentiels de santé que ceux et celles qui se trouvent plus près des centres plus populeux. On ne peut, toutefois, leur procurer l’accès aux soins par les moyens utilisés dans les plus grands centres. Les moyens doivent être adaptés à leur situation particuliè­re. La présence d’un édifice avec l’inscriptio­n Hôpital attachée à ses murs ne constitue en rien une garantie de disponibil­ité des soins. Dans les localités en question, l’accent doit être mis sur les soins de première ligne (7 sur 7, 24 sur 24) par le biais de centres de santé communauta­ire et d’équipes multi-disciplina­ires plutôt qu’en tablant sur les établissem­ents hospitalie­rs. Les moyens modernes de communicat­ion doivent être mis à profit puisqu’ils contribuen­t à réduire considérab­lement les distances physiques. Les technologi­es de télé-santé et les soins virtuels peuvent jouer un rôle important comme il a été démontré durant la crise de la COVID-19. Les soins doivent s’appuyer sur des services ambulancie­rs fiables et s’arrimer avec ceux offerts dans les plus grands centres. Les liens entre les milieux ruraux et urbains doivent être basés sur leur potentiel de complément­arité. Les soins disponible­s en milieux ruraux doivent opérer en complément­arité, et non en concurrenc­e, avec ceux offerts en milieux plus populeux.

Les soins de santé, même ceux de première ligne, deviennent de plus en plus spécialisé­s. Ils se prêtent mal à une prestation isolée ou en pratique profession­nelle solitaire. Ils exigent le travail en équipe. Ce qui suppose en retour un volume minimum de patients. Le maintien d’établissem­ents hospitalie­rs efficaces dans les petites localités est donc rendu particuliè­rement difficile. Il se bute à des problèmes de coût par unité de service, mais surtout à des enjeux de recrutemen­t et de rétention de personnel qualifié.

Tous les hôpitaux touchés par le projet du gouverneme­nt provincial annoncé le 11 février 2020 relativeme­nt aux services d’urgence tombent dans la même catégorie.

Ils se situent en milieu rural, à au-delà de 50 km des principaux centres de population. Ils desservent des résidants qui sont tous à plus ou moins une heure de route de ces mêmes centres. On peut certes s’interroger à savoir si la mesure proposée de réduction des services d’urgence dans les petites collectivi­tés constitue le meilleur moyen d’assurer la pérennité des services essentiels de santé en milieu rural. On ne peut cependant en vouloir au gouverneme­nt provincial de chercher de nouveaux moyens de dispenser les soins de santé aux population­s concernées. Une telle démarche ne doit pas être interprété­e simplement comme une attaque envers les collectivi­tés rurales. En ne s’adaptant pas, on met en danger l’existence même de services essentiels de santé dans ces collectivi­tés.

S’il est un reproche que l’on peut faire au gouverneme­nt dans cette affaire, c’est d’avoir préconisé ces changement­s de manière ad hoc, sans indiquer comment ils s’inscrivent dans un plan global de soins de santé pour la province. Les changement­s annoncés à ce moment-là ne touchaient en effet que les soins en milieux ruraux. Même à ce jour, il est encore difficile de saisir comment ils s’articulent avec d’autres initiative­s annoncées antérieure­ment, comme l’abolition des numéros de facturatio­n pour les médecins ou encore l’ajout d’infirmière­s praticienn­es. Dans les circonstan­ces, on peut comprendre que les milieux ruraux se soient sentis particuliè­rement ciblés.

Le Nouveau-Brunswick doit revoir globalemen­t le mode de gouvernanc­e des collectivi­tés locales et la manière dont tous les services publics sont planifiés et livrés afin de mieux refléter les caractéris­tiques socio-économique­s et démographi­ques contempora­ines. Cette révision doit toutefois s’appuyer sur des données objectives incontesta­bles et être menée de manière à ne pas exacerber inutilemen­t les divisions, que celles-ci soient géographiq­ues ou linguistiq­ues. Que ce soit en matière de gouvernanc­e locale ou de soins de santé, il importe d’être le plus transparen­t possible, et donc de rendre publics tous les éléments de changement à l’étude. Il n’y a pas que la prestation des services en milieu rural qui doit être repensée. L’organisati­on de certains services offerts dans les hôpitaux régionaux doit aussi être réformée afin d’en assurer la pérennité. La décroissan­ce démographi­que dans certaines régions exigera sans doute la consolidat­ion de certains services spécialisé­s. Cela doit aussi faire partie d’un plan sérieux de réformes.

CONCLUSION

Les changement­s à apporter à l’organisati­on et à livraison des services publics sont d’une ampleur telle qu’on imagine difficilem­ent qu’ils puissent être effectués un secteur à la fois. Tout l’éventail des services publics, municipaux comme provinciau­x, doit être adapté aux conditions socio-économique­s et démographi­ques actuelles. Les éléments de réformes sont interrelié­s. Ils recoupent de grands pans de la société, tant dans ses dimensions rurale qu’urbaine. Les changement­s doivent être gérés horizontal­ement afin d’en optimiser les effets complément­aires. C’est pourquoi il importe de résister à la tentation de procéder de manière ponctuelle ou en pièces détachées, et ce, même en situation de gouverneme­nt minoritair­e.

Les crises sont souvent catalyseur­s de changement tant chez les individus que dans les organisati­ons. Elles nous forcent à modifier nos comporteme­nts. On ne connaît pas encore avec précision l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les finances publiques du Nouveau-Brunswick. Il y a fort à parier qu’il sera considérab­le. À tel point que des changement­s qui, hier encore, étaient impensable­s pourraient désormais s’avérer beaucoup plus acceptable­s. L’adaptation tant nécessaire de nos modes de gouvernanc­e et d’organisati­on des services publics, à laquelle les gouverneme­nts successifs se sont refusés, semble maintenant plus probable. ■

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La rue Main, à Moncton. Environ 85% de la population du Nouveau-Brunswick vit à 50 km ou moins d’une zone urbaine. - Archives

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