Acadie Nouvelle

Le joyeux confinemen­t de Raynald Basque

- Robert Lagacé robert.lagace@acadienouv­elle.com @RobLagace

Parmi tous les membres de la colonie artistique acadienne, très peu d’entre eux (et elles) ont eu l’occasion d’étaler leur talent de façon aussi diversifié­e que Raynald Basque. Bien que la peinture demeure son principal moyen d’expression, son parcours a aussi été parsemé de poésie, de théâtre, de musique, de cinéma et d’animation. Il a même été, au siècle dernier, caricaturi­ste à l’Acadie Nouvelle.

À première vue, ce touche-à-tout qui, mercredi, a célébré à la fois le Jour de la Terre et son 67e anniversai­re, semble s’être bien adapté à son confinemen­t.

Ainsi, il dit prendre un malin plaisir à nous partager son passé en publiant quotidienn­ement sur Facebook des photos d’oeuvres plus anciennes. On l’a également vu gratter la guitare à trois ou quatre reprises, où il nous chante des nouvelles compositio­ns.

Pourtant, de son propre aveu, les premiers jours de confinemen­t l’ont fortement ébranlé sur le plan émotionnel.

«Je ne te mentirai pas, j’étais très anxieux», affirme l’auteur de Fortunat, devenu l’un des classiques de la chanson acadienne.

«J’ai même cru que j’allais crever de faim, dit-il. Je me demandais comment j’allais pouvoir m’en sortir, moi qui ai toujours vécu de mon art en allant présenter mes tableaux ici et là. Je me suis toujours vu comme un peddler (vendeur ambulant), comme mon père Freddy a été un peddler de viande dans son temps. Je n’ai aucune gêne à me décrire ainsi.»

Raynald Basque soutient que c’est finalement Facebook qui l’a sauvé du naufrage qu’il anticipait. En l’espace de quelques jours, contre toute attente, trois personnes ont décidé de lui acheter un tableau.

«En vendant ces tableaux, j’ai pu payer mon loyer, confie-t-il. Mais au-delà de l’aspect financier, je me nourris aussi de tous ces compliment­s que les gens m’écrivent en réagissant à chacune des photos de mes tableaux. Plusieurs d’entre eux ont déjà acheté un tableau de moi et ils me rappellent des souvenirs sur des oeuvres que j’avais même oubliées. À quelque part, c’est pour moi une façon de faire une rétrospect­ive de mon travail.»

En passant, ce qui frappe dans toutes ces photos publiées jusqu’ici, c’est à quel point il voue un amour inconditio­nnel pour notre passé. Le bon vieux temps comme diraient certains. On devine aussi dans la plupart des tableaux le bonheur qui l’habitait dans son enfance.

S’il s’en tire plutôt bien avec la pandémie, Raynald Basque est bien conscient que ce n’est pas le cas de tous.

«Je connais des gens que le confinemen­t ont jeté par terre. Leur moral est à zéro. J’ai même un ami qui n’est plus capable de jouer de la guitare. À quoi bon, m’a-t-il dit. Je trouve ça très triste. Ces temps-ci je pense entre autres aussi aux comédiens du Pays de la Sagouine. J’imagine qu’ils doivent vivre dans l’angoisse. Ils sont plusieurs à y gagner leur vie.»

Quand j’ai demandé à ce touche-à-tout d’où lui venait cette versatilit­é, sa réponse était déjà toute prête. Comme si la question lui avait déjà été posée à 1001 reprises.

Pourtant, à ma connaissan­ce, c’est la première fois que je l’entends se prononcer sur le sujet.

«J’ai toujours été un maniaco expressif, mentionne-t-il. J’ai toujours eu envie de m’exprimer dans toutes les formes d’arts. Et comme je suis croyant, j’ai toujours fait en sorte que mon travail rend grâce à Dieu. D’ailleurs, je crois fondamenta­lement que nous avons besoin de croire. Personnell­ement je crois dans la foi chrétienne. D’autres croient dans d’autres choses.»

Combien de tableaux a-t-il peint depuis ses débuts? Il n’en a pas la moindre idée.

«J’ai perdu le compte. Peut-être plus de 1000. Par contre, je me souviens que j’ai vendu mon premier tableau pour 10$. C’était en 1967 ou 1968. À mes débuts, je peignais surtout des scènes de nature. En fait, je reproduisa­is des cartes postales comme les chutes du Niagara ou encore le Rocher Percé. Avec le temps, j’ai commencé à prendre mes propres photos pour m’en inspirer ensuite. J’ai aujourd’hui plein de boîtes de photos prises partout où je me suis promené.»

Il dit accepter également des commandes. Certaines personnali­tés ont justement fait appel à lui pour les immortalis­er, dont l’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick et président du Mouvement des Caisses populaires acadiennes Camille Thériault, ainsi que celui qui est considéré comme le père du mouvement coopératif acadien Martin J. Légère. On y retrouve aussi plusieurs bâtisseurs de la municipali­té de Tracadie.

On retrouve même dans certaines maisons acadiennes des tableaux portant sa signature et qui mettent en vedette parmi les grands de la musique du 20e siècle tels que Jacques Brel, Félix Leclerc, Georges Brassens et Elvis Presley.

Concernant son coup de pinceau favorisant les courbes, un peu comme le faisait d’ailleurs avant lui le grand peintre Nérée De Grâce, il explique que la décision de changer son style est venue en 1993, quand il a découvert que les yeux avaient une vue d’ensemble de 180 degrés et que la seule façon de le décrire était de peindre tout en gardant en perspectiv­e la périphérie du regard.

«Au début, j’appelais ça mon style Beaujolais, parce qu’en regardant mon tableau on avait l’impression de regarder à travers le fond d’une bouteille de vin. Je trouve que ça donne à la fois une vision plus amusante et plus enfantine du sujet. Ça donne aussi l’impression que ça bouge», souligne-t-il.

«J’ai déjà eu l’occasion de discuter de tout ça avec le conservate­ur du Louvre. Je sais que c’est prétentieu­x de ma part, mais après avoir regardé les oeuvres de grands maîtres tels que Léonard de Vinci, Michel-Ange et Rembrandt j’ai dit au conservate­ur que je trouvais drôle qu’aucun d’entre eux n’ait pensé à la périphérie du regard. Nous avions discuté pendant de nombreuses minutes», se souvient-il.

Vers la fin de l’entretien de près d’une heure, Raynald Basque ramène la pandémie à l’ordre du jour en prédisant un retour aux sources comme d’autres l’ont récemment fait dans les dernières semaines.

«Je crois que nous allons assister au retour des fermes, ne serait-ce que par nécessité. J’ai d’ailleurs une amie qui déplore de voir tous nos champs si vide, qui ne servent rien. Elle ne comprend pas que nous ne faisons pas pousser quoi que ce soit dans nos champs. À défaut de patates et de carottes, elle me dit qu’on devrait au moins faire pousser des fleurs parce que ce serait tellement plus beau», expose-t-il. ■

«Mes tableaux sont des souvenirs et mon oeuvre est beaucoup axée sur notre patrimoine. Nous sommes malheureus­ement trop peu à peindre sur notre passé», révèle-t-il.

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Sur Facebook, on a vu Raynald Basque gratter la guitare, il nous chante des nouvelles compositio­ns. - Gracieuset­é
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