La pandémie est l’occasion de repenser les soins de longue durée
Lorsqu’on écrira l’histoire de la pandémie de COVID-19 au Canada, la plupart des chapitres se dérouleront dans les établissements de soins de longue durée. Au début mai, l’Institut national sur le vieillissement de l’Université Ryerson à Toronto estimait que 82% des quelque 600 décès reliés à la COVID-19 au Canada sont survenus dans ces établissements. La quasi-totalité des victimes sont des résidents alors que seulement quelques membres du personnel en sont morts.
La situation s’est gravement détériorée depuis la mi-avril, alors que cette proportion était à 50%.
La statistique est encore plus frappante lorsqu’on sait que les personnes âgées vivant dans ces établissements ne constituent que 1% de la population canadienne.
C’est un bilan qui révolte Monique Lanoix, professeure d’éthique à l’Université Saint-Paul, à Ottawa.
«C’est impensable les choses qui sont arrivées dans les centres de soins prolongés, comment on traite les résidents. Pour une société qui a les moyens de faire mieux, c’est tout à fait inexcusable.»
Au Québec, près des deux-tiers des plus de 3800 victimes de la COVID-19 résidaient dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). En Ontario, ce sont trois quarts des morts (un peu plus de 2000) qui résidaient dans ce genre d’établissement.
En Nouvelle-Écosse, la situation est encore pire. En date de jeudi, 52 des 58 morts reliées à la pandémie dans la province étaient non seulement résidents d’un centre de soins de longue durée, mais d’un seul et même établissement: celui de Northwood, à Halifax.
Comment se fait-il que presque partout au pays, le même scénario tragique se soit déroulé? Les experts montrent du doigt le manque de personnel.
«Nous disons depuis longtemps qu’il faut avoir davantage de personnel dans ces centres», souligne Pat Armstrong, professeure de sociologie et chercheuse à l’Université York, à Toronto.
Monique sens.
Lanoix abonde dans le même
«J’ai observé un centre de soins prolongés pendant 20 ans et j’ai vu la diminution du personnel, peu à peu. Cela fait que les employés n’ont pas beaucoup de temps pour s’occuper des résidents. Ont-ils le temps de se laver les mains entre deux résidents? Il y a des chambres avec quatre personnes. Est-ce qu’on voudrait vivre avec trois autres personnes avec un petit rideau? Est-ce qu’on accepterait ça, nous?»
DES PROVINCES PASSENT À L’ACTION
Déjà, la crise a entrainé plusieurs changements dans la gestion des établissements de longue durée, de façon temporaire pour l’instant.
En Colombie-Britannique, la province a décidé au début avril de devenir l’employeur des préposés des centres de soins de longue durée pour une période de six mois. Ceux-ci recevront un salaire équivalent aux employés qui travaillent dans les centres déjà administrés par la province.
Le salaire de base passe à près de 25 $/h, soit environ 7$ de plus que celui des travailleurs des foyers privés.
Aussi, depuis le début avril, les employés ne peuvent plus aller d’un centre à l’autre. Les syndicats croient qu’il sera difficile pour le gouvernement de retourner à l’ancien système.
De son côté, l’Ontario s’est donné le pouvoir de prendre en charge la gestion des centres qui sont aux prises avec la COVID-19, et où du personnel des Forces armées a été déployé dans cinq centres.
L’armée a également été appelée en renfort au Québec pour soulager des établissements désespérément en manque d’employés.
Selon Monique Lanoix, la présence du privé à but lucratif dans ce secteur est très problématique.
«Le devoir premier de ces grandes compagnies-là, c’est d’avoir un rendement. On paie mal les préposés. On en a moins. On suit plus ou moins la réglementation mise en place par la province. Et si jamais on est pris en faute, on se fait seulement taper sur les doigts. Ce n’est pas très grave ; on ne perd pas notre permis.» ■